Boyhood – Critique du film de Richard Linklater
22 février 2015 0 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 22 février, 2015 @ 0:06:18Boyhood raconte l’histoire de Mason, un enfant qui atteindra l’âge adulte après un passage forcé à travers l’adolescence. Pour ce faire, au rythme de quelques jours par année entre mai 2002 et août 2013, le réalisateur Richard Linklater a filmé l’acteur Ellar Coltrane de son septième anniversaire jusqu’à son dix-neuvième. Du jamais vu dans l’histoire du cinéma de fiction!

Douze années résumées en 165 minutes. L’unicité de ce défi, relevé de main de maître par Linklater, comportait son lot de risques. Comment mener à bon port ce projet de film fleuve avec moins de cinq millions de dollars de budget? Nul doute qu’il n’y avait aucune place à l’erreur ni à l’excès, au tournage comme au montage. Durant le film, Mason se développe une passion pour la photographie argentique et immortalise sur pellicule des photographies de l’être humain, à l’image du cinéaste qui a opté pour le format 35 mm pour en faire le même usage.
Ellar Coltrane (qui avait six ans au moment de son audition) est criant de vérité dans la peau du protagoniste, supporté par Patricia Arquette (la mère) et Ethan Hawke (le père) au sommet de leur talent. Patricia Arquette a d’ailleurs remporté l’Oscar de la meilleur actrice de soutien et le Golden Globe de la meilleure actrice dans un second rôle. Pour jouer Samantha, la sœur de Mason, le réalisateur a confié le rôle à sa propre fille, Lorelei Linklater. Elle débute en force dans sa scène introductive où elle chante et danse Oops!… I Did It Again de Britney Spears, mais elle perd de son aplomb et paraît un peu désintéressée à mesure qu’elle grandit. Le reste de la distribution ne ramasse pas les miettes, en particulier ceux qui personnifient les prétendants alcooliques de la mère monoparentale.




L’écran transcende son sens propre de surface dès que les premières images de l’incipit y sont projetées (au cinéma) ou diffusées (à la télévision), acquérant ainsi le sens figuré de miroir tellement nous nous reconnaissons dans les personnages, les dialogues et les événements. Nous faisons l’expérience de la jeunesse par le prisme des yeux de Mason qui accède au statut de figure universelle pour chacun des (télé)spectateurs.
Ce point de vue subjectif, à hauteur de trois pommes pour ainsi dire, nous rappelle ces étapes fondamentales qui caractérisent les aléas de l’existence : le premier baiser, le retour d’un père absent, la première bière, l’intimidation au secondaire, le premier échec amoureux, le jour de la graduation, j’en passe et des meilleurs. Cette identification donne essor à la résurrection de nos propres souvenirs, bons ou mauvais.




Nombre de moments nous font prendre conscience que le temps s’est écoulé sous nos yeux ébahis et que les personnages ont grandi/vieilli sans que nous nous en apercevions. Le film tient donc compte de l’inéluctabilité du temps qui passe et de l’éphémérité de la vie. En voici trois exemples représentatifs :
1- La mère lit Harry Potter and the Chamber of Secrets (le 2e tome) à Mason et Samantha avant l’heure du dodo. Quelques années plus tard, ils assistent au lancement du roman Harry Potter and the Half-Blood Prince (le 6e tome).
2- Alors qu’un ouvrier répare un drain d’égout autour de la maison, la mère lui lance avant de partir qu’il est intelligent et qu’il devrait faire des études. Plusieurs années plus tard, alors que la mère est au restaurant avec ses enfants, ce même homme vient la remercier d’avoir changé sa vie. Il a suivi son conseil de suivre des cours et désormais il est un des gérants de l’établissement en voie de terminer son diplôme.
3- Durant la dernière scène du film au Big Bend National Park, Mason rencontre Nicole (Jessi Mechler). Le dernier plan montre un échange de regard lourd de sens, suggérant peut-être qu’ils vivront heureux et auront beaucoup d’enfants. Cette rencontre fait d’ailleurs écho à la petite Nicole de l’école élémentaire qui a fait passer un papier dans la classe jusqu’à Mason, fraîchement rasé. Il y est écrit : « Mason, I think your hair looks kewl! Nicole ». Est-ce la même Nicole? La réponse nous appartient.




Qui plus est, cette chronique familiale est le reflet de son contexte historique, c’est-à-dire dans le Texas des États-Unis post-11 septembre et anti-Bush. Il est intéressant de noter l’évolution, ne serait-ce qu’à travers la technologie des jeux vidéo (Mason joue avec un Game Boy Advance, puis à la Xbox au jeu Halo 2, puis à Wii Sports).
Résumer Boyhood, c’est s’attaquer à ce qui fait l’essence même de la vie : une série d’anecdotes, de rencontres et de conversations, lesquelles forgent la personne que nous devenons une fois la majorité atteinte. Il ne se limite pas à la jeunesse, mais va au-delà en abordant la relation avec la mère, la relation avec le père, la communication, l’importance de l’amour et de l’amitié. Il illustre à une échelle microcosmique les remises en question, les apprentissages, les expériences, bref, tous ces petits riens qui, bout à bout, forment un tout unique en son genre. Un chef-d’œuvre intemporel et, ex aequo avec Mommy, mon film préféré de 2014.
Verdict : 9,5 sur 10
Partager :
- Cliquez pour partager sur Twitter(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Reddit(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Pinterest(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
- Cliquer pour envoyer un lien par e-mail à un ami(ouvre dans une nouvelle fenêtre)
Articles similaires
À propos de l’auteur
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d'événement, publicités, vidéoclips). Il s'occupe d'ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d'une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l'UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l'UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca