Mad Max: Fury Road – Critique du film de George Miller

18 mai 2015 1 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 18 mai, 2015 @ 22:13:54

Mad Max: Fury Road, une course-poursuite endiablée signée George Miller, se déroule dans un monde dystopique et post-apocalyptique. L’histoire se résume en un aller et un retour où le maître mot est survie, une survie qui s’acharne à la fois sur des créatures ayant soif d’eau et sur des bagnoles ayant soif d’essence. Au final, le public voit sa soif d’action étanchée, tant la demi-mesure de la suggestion fait place à la démesure de l’exagération.

madmaxtitre

À l’image du 2001: A Space Odyssey (1968) de Stanley Kubrick, ce quatrième film de la saga Mad Max est une expérience cinématographique en soi. Nous sommes lancés au coeur de l’arène dès la première scène, in medias res, plongeant en apnée totale dans l’écran qui devient le canevas d’une oeuvre d’art.

Le réalisateur George Miller a tout préparé, tout chronométré, tout millimétré au détail près. Partout, la perfection de son travail transpire comme la sueur qui ruisselle sur le front des personnages. C’est un feu d’artifice de couleurs chaudes : l’orange des carrosseries rouillées trouve sa place entre le rouge du sang et le jaune du sable. Les trouvailles visuelles sont légion, en ce sens que ses plans d’une trop rare inventivité constituent plusieurs pièces d’anthologie d’une trop rare beauté qui resteront gravées dans notre mémoire, et dans les annales du cinéma d’action.

Voici les grandes lignes de l’histoire. Max Rockatansky (Tom Hardy) erre seul au volant de son bolide dans un monde dévasté où les clans de cannibales, les sectes et les gangs de motards s’affrontent pour l’essence et l’eau. L’un de ces clans est aux ordres d’Immortan Joe (Hugh Keays-Byrne), un ancien militaire devenu leader tyrannique. L’une de ses plus fidèles partisanes, l’impératrice Furiosa (Charlize Theron), le trahit et s’enfuit avec un bien d’une importance capitale pour le chef de guerre : cinq épouses lui servant d’esclaves et de ventres pour perpétuer sa race guerrière. Immortan Joe se lance à la poursuite de Furiosa avec toute son armée motorisée à travers le désert. Max est embarqué malgré lui dans cette traque délirante, ayant été capturé et enchaîné à l’avant du véhicule de Nux (Nicholas Hoult), telle une figure de proue sous le beaupré d’un navire. Il n’a pas le choix s’il veut survivre à cet enfer : il devra s’associer avec Furiosa…

Plan d'ouverture du film

Plan d’ouverture du film

Le plan d’ouverture à lui seul mérite une attention particulière. Il montre le personnage principal de dos, à la droite de l’Interceptor (la Ford Falcon XB 351 du premier film de 1979) et face à un désert qui s’étend à perte de vue. Il écrase du talon un lézard bicéphale qui s’aventurait sous son pied, lui servant aussitôt d’amuse-gueule quelques secondes avant que le vrombissement d’un moteur ennemi se fasse entendre. Cet incipit, prémisse et promesse du chaos à venir, donne l’heure juste quant au protagoniste : il sera avide de sang et avare de mots dans ce territoire aride.

Miller a tourné ce dernier-né à l’ancienne, sans écran vert ni personnage numérique (aucune trace d’Andy Serkis au générique!), une méthode old school affectionnée aussi par Christopher Nolan (Interstellar, Inception, la trilogie The Dark Knight) et J.J. Abrams (Star Wars: Episode VII – The Force Awakens, Super 8, les deux derniers Star Trek). Seulement 20% des effets spéciaux ont donc été créés ou retouchés en postproduction, un pourcentage nettement inférieur à tout ce que les superproductions hollywoodiennes nous proposent depuis des lustres. Un résultat à couper le souffle!

La cauchemardesque tempête de sable créée à l'ordinateur.

La cauchemardesque tempête de sable créée à l’ordinateur.

Si notre antihéros rappelle l’homme sans nom que jouait Clint Eastwood pour Sergio Leone dans les années 60, c’est que le film s’inspire directement du western, italien comme états-unien, en faisant sien ses codes. Mad Max vient d’on ne sait où et ne va nulle part, libérant au passage les opprimés du pouvoir despotique en place. Tom Hardy (Warrior, Inception), avec sa présence physique et son non-verbal expressif, était tout désigné pour reprendre le flambeau des mains de Mel Gibson. Il a compris qu’il devait réinventer ce personnage iconique et non se le réapproprier.

Furiosa (Charlize Theron) est le pendant féminin de Mad Max, une héroïne au passé trouble qui mérite de monter sur le podium aux côté de Sarah Connor et Ellen Ripley afin de concourir au titre de femme forte du septième art. Grâce à Furiosa, les cinq épouses d’Immortan Joe aspirent à s’émanciper de leur statut d’objets sexuels et procréateurs. Ce discours pro-féministe était le bienvenu dans cet univers phallocentrique carburant à la testostérone et à l’hémoglobine.

Tom Hardy a dit ceci : « Max et Furiosa ont des caractères très similaires et ils nouent une entente qui se passe de mots, ce qui est le propre de deux êtres très proches. Il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, mais chacun se révèle au contact de l’autre, si bien qu’il est primordial qu’ils s’entendent et s’aident mutuellement à aller de l’avant. »

Croisement entre Darth Vader et Bane en raison de son masque qui facilite sa respiration, Immortan Joe est joué par Hugh Keays-Byrne, lequel prêtait ses traits à l’antagoniste Toecutter il y a 36 ans dans le film original…

Immortan Joe

Immortan Joe

Trente années se sont écoulées entre Mad Max Beyond Thunderdome et Mad Max: Fury Road, soit 10 901 jours. Si la trilogie originale a pris quelques rides, ce dernier volet est une cure de rajeunissement pour Miller qui est de retour en territoire connu. Entre-temps, sa filmographie est devenue éclectique, faisant parler un cochon dans Babe: Pig in the City et danser un pingouin dans Happy Feet et Happy Feet Two!

Avec Mad Max: Fury Road, Miller est « revenu au cinéma muet, qui représente le langage filmique à son état le plus pur. Globalement, il n’était fait que d’action et de poursuite… » En effet, c’est en étudiant le cinéma des premiers temps que le cinéaste a imaginé sa franchise. Il a voulu rendre hommage à ces films muets dont l’histoire passe par l’image, ce qui explique cette épure scénaristique propre aux quatre films.

madmax02

La première bande-annonce mise en ligne en juillet 2014 nous préparait à deux heures de pure folie, à une poussée d’adrénaline inégalée, à des scènes d’action plus frappadingues les unes que les autres, à des moments épiques bourrés de cascades suicidaires et d’effets pyrotechniques authentiques. Le tout accompagné par la musique immersive de Junkie XL!

Non seulement Mad Max: Fury Road remplit ses promesses, mais il ne s’interdit aucun délire esthétique. Par exemple, le département artistique a créé pas moins de 150 bolides pour nourrir le visuel des courses-poursuites (voir Oyez! Oyez! Les 10 bagnoles les plus folles de Mad Max: Fury Road s’explosent… non… s’exposent!). Sans compter tout ce bestiaire qui ferait mourir de jalousie Guillermo del Toro, à commencer par le guitariste-pantin sorti tout droit de Pan’s Labyrinth (El laberinto del fauno en VO)!

Que font ces hommes-échasses entrevus au milieu de cette chasse à l’homme? Ils participent à l’unicité de cette mythologie fascinante. Miller a repoussé les limites de son univers qui est régi par les instincts les plus primaires. Les fous du volant (héritiers des as de la gâchette du western) à la peau blafarde et balafrée forment une monstrueuse parade perdue qui espère quitter l’érème du désert et rejoindre saine et sauve l’écoumène de quelques verts espaces.

Cette chevauchée fantastique de 120 minutes défile à la vitesse grand V, sans perdre haleine et sans entacher notre lisibilité, et ce, en dépit des quelques 2 700 plans qui se succèdent devant nos yeux ébahis. À titre de comparaison, il y en a 1 200 dans Mad Max 2 et en moyenne 500 dans un long-métrage conventionnel!

Ayant soufflé ses 70 bougies le 3 mars dernier, c’est une véritable leçon de cinéma auquel Miller nous convie en cette année où le langage cinématographique célèbre son centenaire, avec la sortie du film The Birth of a Nation de D.W. Griffith en 1915. Miller fait fi de la concurrence, que ce soit les blockbusters de la Marvel Cinematic Universe ou ceux qui se sont inspirés de sa trilogie originale (Waterworld, The Road, The Book of Eli et même WALL·E). Il les enterre tous, pour ainsi dire, sous les tonnes de sable du désert du Namib, à l’endroit même où le tournage s’est en grand partie déroulé.

Bref, Mad Max: Fury Road est-il une œuvre? Un peu. Un chef-d’œuvre? Oui, mais ce n’est pas le mot juste. Une œuvre d’art? Voilà!

Verdict : 9,5 sur 10