Impossible d’aborder ce énième film de boxe sans applaudir Jake Gyllenhaal qui fait son entrée dans un rôle qui lui sied comme un gant. Dans un combat de tous les instants, il esquive les coups adverses avant de riposter avec un solide crochet qui envoie les autres aspirants au tapis, remportant ainsi le titre de spécialiste en métamorphoses physiques. En effet, il n’a lésiné aucun effort pour obtenir cette musculature des plus blindées qui vous laissera KO d’étonnement!
La genèse de ce projet remonte à 2002, au lendemain de la sortie d’8 Mile. Impressionné par Eminem qui y jouait le protagoniste Jimmy « B-Rabbit » Smith, le scénariste Kurt Sutter (des épisodes pour les téléséries Sons of Anarchy et The Shield) s’est inspiré d’une période noire de la vie personnelle du rappeur pour imaginer une sorte de suite spirituelle au biopic réalisé par Curtis Hanson (L.A. Confidential, The River Wild) et scénarisé par Scott Silver (The Fighter). Sutter précise pourquoi il a décidé de la raconter à travers une analogie de la boxe :
« Sa propre vie a été une bagarre. D’une certaine manière, ce film est la continuation de l’histoire d’8 Mile, mais plutôt qu’une biographie au sens littéral, nous narrons de façon métaphorique le second chapitre de sa vie. Cela me plaît que le titre se réfère au fait que Marshall [véritable prénom d’Eminem, NDLR] est gaucher, ce qui dans le milieu de la boxe revient à être blanc dans le milieu du hip hop. »
Le rôle-titre initialement prévu pour Eminem est finalement revenu à Gyllenhaal. Antoine Fuqua (Training Day, The Equalizer, Olympus Has Fallen), quant à lui, s’est chargé de la réalisation de ce qui aurait très bien pu passer sous le radar.
Voici le synopsis de Southpaw :
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Champion du monde dans la catégorie des poids mi-lourds, Billy Hope (Gyllenhaal) triomphe tant sur le ring qu’à l’extérieur, supporté par sa femme Maureen (Rachel McAdams) et sa fille Leila (Oona Laurence) qu’il chérit plus que tout. Le fastueux de son existence en prend un coup le jour où il devient veuf suite à un tragique accident. Il sombre alors dans le chaos (!) de l’alcoolisme et des pensées suicidaires, tandis que sa fille est prise en charge par les services sociaux.
Au plus bas de son parcours icarien, Billy trouve une aide précieuse en la personne de Tick Willis (Forest Whitaker), un ex-boxeur avec qui il reprend l’entrainement. Il devra remonter sur le ring pour tenter non seulement de regagner la garde de l’être cher qui lui reste, mais aussi de trouver la voie de la rédemption en affrontant ses démons intérieurs.
Selon moi, il y a deux types d’acteurs : ceux qui servent l’histoire et ceux qui se servent de l’histoire.
Les premiers se placent en arrière-plan afin de ne pas nuire tantôt à une trame narrative préétablie (comme dans la majorité des adaptations littéraires), tantôt à un cortège d’effets spéciaux numériques et pyrotechniques (comme les prisonniers sous contrat de la Marvel Cinematic Universe).
Les seconds se situent en avant-plan afin de supporter le film sur leurs épaules. Quelques-uns en profitent même pour jouer au yo-yo avec leur corps, et ce, grâce à une prise ou une perte de poids extrêmes. Souvenez-vous de Christian Bale dans The Machinist et The Fighter, ou encore de Matthew McConaughey dans Dallas Buyers Club.
De ce fait, incarner un pugiliste se veut l’occasion idéale pour un acteur de sculpter son corps au possible (je pense ici à Robert De Niro dans Raging Bull ou Will Smith dans Ali), d’autant plus que durant les combats le corps en question s’exhibe aux yeux des spectateurs (ceux assis autour du ring et ceux assis dans la salle de cinéma!).
Gyllenhaal compte parmi ces (trop rares) acteurs transformistes qui ne font qu’un avec leur personnage. En 2013, il a réorienté sa carrière dans deux films du réalisateur québécois Denis Villeneuve, Prisoners et Enemy. En 2014, il affichait 20 livres en moins à la pesée officielle de Nightcrawler, une mine cadavérique obtenue en combinant un régime à base de chewing-gum et de salade de kale ainsi qu’un entrainement quotidien d’une vingtaine de kilomètres de course à pied. Aujourd’hui, dans Southpaw, son corps squelettique fait place à un corps athlétique grâce à un gain de 15 livres de masse musculaire.
Nul n’est surpris de l’implication de l’acteur-caméléon, à commencer par Fuqua : « Il va changer la manière dont les gens le voient. Je l’ai vu vomir dans la salle de gym et quasiment tomber dans les pommes. Je l’ai regardé prendre des coups, des uppercuts dans les côtes, aller à terre. Il a pris des droites et était sonné pour de vrai. Je l’observais pour voir s’il allait arrêter ou abandonner. Il continuait. J’ai poussé Jake dans ses retranchements et il y est allé avec moi. »
Pris en charge par l’ancien boxeur professionnel Terry Claybon, Gyllenhaal s’est soumis à un préparation intensive de cinq mois qui impliquait chaque jour trois heures de boxe le matin ainsi que trois heures de cardio et de renforcement musculaire le soir. Un programme chargé, auquel il faut ajouter 2 000 sit-ups. Qui plus est, il s’est astreint à un régime composé de glucides au petit-déjeuner et de protéines au dîner. Une véritable immersion.
Le reste de la distribution mérite aussi mon attention.
En dépit d’une présence éphémère, Rachel McAdams (The Notebook, The Vow, Midnight in Paris) marque un peu nos esprits et beaucoup celui de Billy Hope. Sa beauté naturelle est telle qu’elle dépasse, et de loin, la plastique artificielle des ring girls qui se pavanent entre les rounds…
Forest Whitaker (Taken 3, Phone Booth, Ghost Dog: The Way of the Samurai) n’a pas encore lancé la serviette. Il a de l’énergie à revendre et prouve enfin qu’il méritait sa statuette du meilleur acteur en 2007 pour The Last King of Scotland. Sa sous-intrigue est toutefois inutile.
Oona Laurence (Lamb, Penny Dreadful) manque d’aisance par moments, en ce sens qu’elle semble avoir reproduit à la lettre ce que le réalisateur lui a demandé. Ses scènes riches en émotions ne sont que le résultat d’un montage minutieux et sélectif. Or, du haut de ses 12 ans, son talent ne peut aller qu’en augmentant.
Les artistes de la musique 50 Cent (Get Rich or Die Tryin’, All Things Fall Apart, Escape Plan) et Rita Ora (Fifty Shades of Grey) sont le prix de consolation pour l’absence d’Eminem devant la caméra. Si ce dernier ne les côtoie pas dans le générique, il s’y retrouve plus bas pour avoir signé Phenomenal et Kings Never Die. Figurant sur la bande originale, ces deux chansons donnent une autre dimension à certaines scènes, en particulier l’entrainement avant le match décisif.
Oui, Bill Conti et le groupe de hard rock Survivor de la saga Rocky ont fait leur temps et peuvent retourner au vestiaire…
La réalisation de Fuqua filme superbement les combats (il a fait appel aux caméramans Todd Palladino et Rick Cypher qui ont travaillé pendant près quatre décennies pour la chaîne HBO), variant entre des gros plans, des plans d’ensemble, des retransmissions TV et même d’audacieux plans subjectifs. La caméra reste plus discrète en dehors du ring, c’est-à-dire durant la descente aux enfers de Billy Hope et durant sa rédemption. Cette sobriété dans la mise en scène permet à chacun de ses acteurs, Gyllenhaal en tête, de s’illustrer.
Heureusement que l’expérience de Fuqua (une patte de lapin?) est venue pallier l’inexpérience de Sutter (une fausse patte?). Je reproche au film sa prévisibilité, puisant son inspiration chez les deux représentants du genre : Rocky (Clubber Lang qui provoque Rocky en insultant Adrian, la photo sur le mur comme motivateur d’entrainement) et Raging Bull (le boxeur roué de coups qui ne tombe jamais au sol, le sang sur les cordes du ring, la table renversée dans un accès de colère).
Southpaw est dédié au regretté James Horner (décédé le 22 juin 2015) qui a composé avec brio la partition Cry For Love. C’est à cet homme que nous devons également les BO de Titanic, Avatar, Braveheart, Aliens, Troy, The Name of the Rose, Apollo 13 et Honey, I Shrunk the Kids. Pour l’anecdote, la dernière composition de Horner sera pour le prochain film de Fuqua, The Magnificent Seven. Prévu pour le 13 janvier 2017, ce western est un remake du film réalisé par John Sturges de 1960, lequel s’inspirait directement du célèbre film de samouraï réalisé par Akira Kurosawa en 1954, Shichinin no samurai.
Fuqua a confié à NPR : « Horner m’appelé un dimanche, après avoir vu Southpaw. Et je lui ai dit que je n’avais pas d’argent car ce n’était pas un film à gros budget. Et il m’a dit qu’il aimait le film, la relation père-fille. Et il l’a fait pour rien, il a payé son équipe avec son propre argent. Et il y a quelques jours, son équipe est venue à Bâton-Rouge, et ils m’ont apporté la musique de mon film The Magnificent Seven. Il l’avait déjà écrite pour moi en se basant sur le script. »
« On monte sur le ring seul, on le quitte seul également, mais la trajectoire n’appartient qu’à vous. C’est vraiment émouvant de voir la force qu’il faut pour être boxeur professionnel : la détermination, la préparation, la discipline et la dextérité. »
Tels sont les mots de Gyllenhaal qui se montre encore une fois habité (devrais-je dire hanté?) par son personnage. Le visage tuméfié d’ecchymoses et momifié de sparadraps, l’acteur de 34 ans est foncé tête première, comme un taureau sauvage, dans la peau de ce « lord of the ring » qui se refuse à toute position victimaire.
Bref, Southpaw sera à Gyllenhaal, ce que Raging Bull est à De Niro : rien de moins que son chef-d’oeuvre. Il devra toutefois défendre sa ceinture de spécialiste en métamorphoses physiques dans ses films ultérieurs, sans quoi Bale, McConaughey ou d’autres transformistes se serviront d’une autre histoire pour tenter de le battre à plate couture. D’ici là, soulèvera-t-il à bout de bras un premier Oscar?
Verdict : 9 sur 10
Voici un making-of de 18 minutes sur les coulisses du tournage :