
Turbo Kid : un trip déjanté qui prend le spectateur aux tripes jusqu’à ce que rire s’ensuive!
15 août 2015 15 août, 2015 @ 13:12:21Turbo Kid est un raz-de-marée qui (r)emporte tout sur son passage. Il a d’abord fait sensation lors de sa première mondiale au festival du film de Sundance le 26 janvier dernier avant de remporter le prix du public au SXSW (South by Southwest) le 17 mars. Il a ensuite entamé une tournée mondiale durant laquelle il s’est arrêté à Copenhague (Danemark), au Pays-Bas, à Dallas et Seattle (États-Unis), à Sydney (Australie), à Édimbourg (Royaume-Uni), à Neuchâtel (Suisse), à Bucheon (Corée du Sud), en Nouvelle-Zélande, à Melbourne (Australie), entre autres. Il a finalement eu droit à deux salles combles pour sa première montréalaise (et canadienne) à Fantasia le 23 juillet. Ce n’est qu’un début : il est présenté en sortie limitée dans la Belle Province depuis hier et prendra l’affiche chez nos voisins du sud dès le 28 août prochain!
AVANT LE JOUR T
Il s’agit du premier long métrage d’Anouk Whissell, de François Simard et de Yoann-Karl Whissell. Ces trois scénaristes et réalisateurs québécois travaillent depuis une quinzaine d’années sous l’acronyme RKSS (signifiant Roadkill Superstar) et sont à l’honneur à chaque édition du Festival SPASM depuis sa création. Par exemple, leur premier-né baptisé 2 Morts faisait partie de la programmation en 2003 devant 675 spectateurs en liesse, et BAGMAN Profession : Meurtrier, leur film le plus connu, a été applaudi par plus de 2 000 spectateurs en 2004!
Aujourd’hui trentenaires, les membres du collectif RKSS ont une vingtaine de courts métrages à leur actif et peuvent compter sur un public fidèle derrière eux, fanatisé tant par leur ultraviolence (Total Fury) que par leur ultraréférencialité (Red Head Red Dead). Vive la culture cinématographique des années 80, quoi!
En 2011, le RKSS a participé au concours 26 réalisateurs, 26 façons de mourir lancé par Drafthouse Films, concours qui a engendré le film à sketches The ABCs of Death. Le principe consistait à réaliser 26 courts métrages d’horreur développés à partir de chacune des 26 lettres de l’alphabet. Le RKSS s’est vu attribuer la lettre T et a offert le très apprécié court métrage de six minutes T is for Turbo.
Anouk Whissell précise : « On n’a pas gagné le concours, mais on avait fini parmi les premiers du côté du public. Le producteur du concours, Jason Eisener, nous a ensuite contactés pour en faire un long métrage. »
Une première version du scénario a été remise en trois semaines au marché de coproduction internationale Frontières (créé à Fantasia en 2012) qui se concentre spécifiquement sur la coproduction de cinéma de genre entre l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Australasie. Telle est la genèse de Turbo Kid, une coproduction québécoise (EMA Films) et néo-zélandaise (T&A Films) qui illustre que nos trois cinéphiles ont enfin récolté le fruit de leurs semences!
LE JOUR T
L’histoire se déroule en 1997 dans un monde parallèle post-apocalyptique où l’eau est devenue denrée rare et dans lequel le BMX est le seul moyen de transport. The Kid (Munro Chambers), un jeune orphelin passionné par les BD, fouille les ruines afin de trouver des reliques intéressantes qu’il troque à Bagu (Romano Orzari) pour sa survie. Durant une de ses expéditions, il rencontre une fille de son âge prénommée Apple (Laurence Leboeuf) de qui il tombe amoureux. Au moment où elle se fait kidnapper, The Kid se lance à la fois à la rescousse de sa bien-aimée et aux trousses du redoutable Zeus (Michael Ironside). Pour ce faire, il recevra l’aide du champion de bras de fer Frederick (Aaron Jeffery) et fera face à l’opposition du sadique Skeletron (Edwin Wright), le bras droit de Zeus.
Turbo Kid ne déroge en rien à la règle de base de RKSS : pasticher ouvertement les films de leur enfance. Je me suis surpris moi-même à embarquer autant dans leur univers fictif qui sent bon le Mad Max de George Miller en raison de son décor qui se situe après une catastrophe ayant causé la fin de la civilisation. Je me suis aussi soucié rapidement du sort des jeunes protagonistes en perdition, à la manière des films cultes tels que The Goonies, The NeverEnding Story et Back to the Future. Cette immersion et cette identification sont rendues possibles grâce à un équilibre sans temps mort entre des scènes d’action sanglante (le Braindead de Peter Jackson n’est jamais bien loin!) et des scènes d’accalmie, le tout accompagné par l’excellente musique électronique signée Le Matos.
Ironiquement, c’est la première fois que le gore est au service de leur histoire, et non l’inverse comme dans leurs courts métrages. La raison est simple : 93 minutes laissent la latitude nécessaire pour installer une intrigue et développer plusieurs personnages. Les effets spéciaux sont réussis et parfois même dégueulasses (Skeletron pédalant sur un vélo stationnaire pour forcer les intestins d’un Bagu ligoté à se déloger de son appareil digestif, une scène déjà culte!). Mieux encore, le kill count atteint des sommets de démesure comme seuls Schwarzenegger et Stallone en sont capables!
Munro Chambers (Godsend, la télésérie Degrassi: The Next Generation) joue avec conviction le personnage principal. L’acteur de 25 ans, dont la bouille enfantine me rappelle celle d’Aaron Taylor-Johnson dans Kick-Ass, espérait un rôle de superhéros depuis longtemps : « Plus jeune, je rêvais d’être un superhéros, raconte-t-il. Je rêvais que le professeur X cogne à ma porte et me dise : “Munro, tu as des superpouvoirs. Suis-moi et joins-toi aux X-Men.” Ou encore je voyais en moi un petit Marty McFly. Alors, comment pouvais-je refuser l’occasion de devenir un de ces personnages dans ce film? »
Laurence Leboeuf (Les pieds dans le vide, Lac Mystère et Ma fille, mon ange, les téléséries Trauma, Les Lavigueur, la vraie histoire et 19-2 en anglais) prête ses traits à la colorée Apple. L’actrice de 29 ans n’a eu aucune misère à se déplacer en BMX, elle qui s’est entraînée des mois pour camper la cycliste Julie Arseneau dans La petite reine. « Mon personnage est une jeune femme qui met des bracelets au poignet des gens qu’elle rencontre et devient leur amie. Elle les protège; elle devient leur soutien moral. Elle est curieuse et a une grande fascination pour toutes sortes de choses, dont les couleurs vives. Apple a une belle naïveté. » Hier, après la projection de 21h30 au Cinéma du Parc, Yoann-Karl a avoué que le prénom fruité Apple provenait inconsciemment du film Cherry 2000. Les connaisseurs comprendront pourquoi!
Michael Ironside (Total Recall, Scanners, Starship Troopers, la télésérie Le dernier chapitre) incarne le tout-puissant Zeus, chef autoproclamé des terres perdues. « Nous voulions simplement avoir du plaisir. Nous avions envie de repousser les limites du film de genre et je pense que nous avons réussi ce pari. D’ailleurs, je n’appuie pas les films que je n’aime pas. J’ai 65 ans et la vie est trop courte. » Le moins que l’on puisse, c’est qu’il a « l’œil » pour les bons rôles…
Tous les personnages sont toutefois unidimensionnels et caricaturaux, en ce sens qu’ils n’ont aucune raison d’être autre que de représenter un stéréotype précis. À ce titre, Frederick fait sien les clichés du cow-boy solitaire et lance des punchlines à la pelle. L’avoir confié à Aaron Jeffery (les téléséries McLeod’s Daughters, Wentworth) relève du génie, étant donné que son accent néozélandais sonne tout à fait juste!
Et que dire des tics nerveux d’Edwin Wright (Underworld: Rise of the Lycans, King Kong) dans le rôle muet, masqué et marquant de Skeletron, à l’image de Tom Hardy alias Bane dans The Dark Knight Rises!
Cette reconnaissance autour du dernier-né de RKSS prouve qu’il y a bel et bien un public pour le cinéma de genre québecois. Quelques tentatives isolées (Québec-Montréal, Nitro, La loi du cochon, Sur le seuil, la websérie Projet-M) ou ratées (Grande Ourse : La clé des possibles, Saints-Martyrs-des-Damnés, Angle mort, Cadavres) ont tenté en vain d’ouvrir les yeux des institutions qui se contentent encore de financer des comédies bas de gamme et des drames qui auraient dû rester dans le terroir… euh… le tiroir.
Turbo Kid multiplie les images fortes et les moments d’anthologie : le totem humain fait à partir de troncs ennemis, la machine de Zeus extrayant une eau au goût particulier, le feu de camp alimenté par des cassettes VHS, la lampe à plasma activant l’électricité d’une base top secrète, le baiser échangé sous un parasol protégeant d’une pluie d’hémoglobine, le Turbo Glove faisant allusion au Power Glove de la NES, j’en passe et des meilleures. Voici quelques clins d’œil que j’ai repérés :
- – The Kid voue un culte à Turbo Rider, un personnage fictif de BD, comme Bart alias Bartman avec Radioactive Man dans l’émission The Simpson. Il obtient même son costume de superhéros et devient Turbo Kid!
– Le passé du protagoniste est fragmenté en plusieurs flashbacks qui nous sont révélés graduellement. Il s’agit d’un hommage direct au western spaghetti Once Upon a Time in the West, réalisé en 1968 par Sergio Leone, dans lequel le passé de l’Harmonica subit le même traitement narratif. À noter que, dans la scène où il montre à Apple des diapositives stéréoscopiques de dinosaures grâce au View-Master, The Kid porte sa visionneuse autour du cou à l’image de l’instrument à vent dans le chef-d’oeuvre de Leone, de l’Auryn dans The NeverEnding Story, du doublon espagnol dans The Goonies, et cetera.
– Dans la scène de la piscine, le boucher est un proche cousin du Bagman…
– Le nain de jardin fixé à l’arme d’Apple ressemble étrangement à celui qui se retrouve planté dans le cou sans tête d’un zombie dans Braindead.
– La scène finale propose une satire savoureuse de Terminator Salvation, la preuve qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer!
Soit dit en passant, il était temps qu’un film post-apocalyptique utilise des vélos et non des voitures carburant à l’essence. L’eau est déjà assez difficile à trouver, non?
APRÈS LE JOUR T
Par son sens inné du métissage des genres et des références, Turbo Kid a beaucoup de similitudes avec Kung Fury, un autre projet que vous devez impérativement découvrir. D’ailleurs, le caméo d’Yves Corbeil (Zeus dans T is for Turbo) est semblable à celui de David Hasselhoff dans le court métrage suédois. Il ne faut pas s’attendre à réfléchir dans de tels films, mais bien à vivre une expérience chargée d’émotions fortes et de souvenirs nostalgiques. Pour reprendre une citation d’Apple, ces deux productions indépendantes ressemblent ni plus ni moins à une visite « au musée du cool! »
Bref, en espérant une suite de Turbo Kid ou une version longue de Bagman, retenez ceci : s’il est déconseillé de dire trois fois « Bagman », il est fortement conseillé de répéter « Turbo Kid ». Le bouche à oreille peut rapporter beaucoup, surtout dans un Québec où l’urgence d’un cinéma de genre se fait de plus en plus ressentir…
Verdict : 9 sur 10
Page facebook du film
Page vimeo de RKSS
Le 24 octobre 2015, dans le cadre du prochain Festival SPASM, il y aura une rétrospective sur grand écran de tous les courts métrages de RKSS en ordre chronologique, de 2003 à 2011. D’ici là, foncez voir leur long métrage. Et même si vous allez voir un autre film, achetez quand-même un billet pour Turbo Kid!
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d’événement, publicités, vidéoclips). Il s’occupe d’ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d’une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l’UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l’UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca
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