Le générique au cinéma : comment introduire et conclure à seule « FIN » de faire un carton?

6 septembre 2015 0 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 6 septembre, 2015 @ 16:19:38 PM

Qu’ils se présentent à nous sous forme d’intertitres ou d’un défilement vertical, les génériques ont tous le mandat de témoigner des personnes physiques ou morales dont la collaboration mérite d’être soulignée. Au fil du temps et au gré de la technologie, la présentation de ces génériques a beaucoup évolué, passant de simple oripeau facultatif à élément narratif indispensable. Voici leur petite histoire.

Le fameux gun barrel de Maurice Binder introduit chacun des films de James Bond depuis Dr. No en 1962

LA PREMIÈRE VAGUE : LES GÉNÉRIQUES INFORMATIFS

Le carton introductif du western The Great Train Robbery réalisé par Edwin S. Porter en 1903

Entre 1895 et 1914, les tous premiers films ne proposaient qu’un carton introductif qui informait du titre, de l’année de sortie ainsi que du nom de la société de production. Il précisait parfois le numéro d’enregistrement des bobines afin de bien les classer dans un catalogue, comme les vues animées de Georges Méliès dans le catalogue de la Star Film.

En 1914, après quelques centaines de courts métrages depuis 1908, David Wark Griffith s’impose comme réalisateur d’avant-plan de l’American Mutoscope and Biograph Company, là où d’autres restaient anonymes derrière le nom de d’autres compagnies telles que Gaumont, Pathé, Edison Manufacturing Company, Vitagraph Company of America ou encore Essanay Film Manufacturing Company. Ainsi, l’intertitre précédant Home, Sweet Home, un long métrage de 55 minutes, est signé D.W. Griffith. Ce sera le cas jusqu’en 1931 pour son dernier film The Struggle.

Le carton précisant le copyright pour controversé The Birth of a Nation réalisé par D.W. Griffith en 1915

Avant 1927, c’est-à-dire avant que le film parlant ne réduise le film muet à quia, les intertitres servaient aussi à transcrire les dialogues ou à fournir des indications spatiales et temporelles. Après 1927, à quelques exceptions près, seuls les génériques de début et de film ont survécu. À noter que How It Feels to Be Run Over, datant de 1900, se veut le premier film à avoir recours à des intertitres. Alfred Hitchcock fait ses débuts comme title designer pour les intertitres des films The Great Day et The Call of Youth, réalisés par Hugh Ford en 1920 et 1921, avant de réaliser en 1925 son premier film achevé intitulé The Pleasure Garden.

En 1936, le dramaturge Sacha Guitry réalise Le roman d’un tricheur qui porte à l’écran sa pièce de théâtre Mémoires d’un tricheur sortie l’année précédente. La particularité de son générique d’ouverture est que Guitry nomme lui-même à voix haute les différents artisans de son film. En 1946, pour son adaptation du conte La belle et la bête, le poète Jean Cocteau écrit lui-même à la craie sur un tableau noir le générique d’ouverture. Grâce à ces deux français, les génériques deviennent plus que jamais des lieux d’in(ter)vention.

En 1949, le montréalais d’adoption Norman McLaren réalise Begone Dull Care (en français Caprice en couleurs), un film abstrait d’animation de huit minutes dont le générique d’ouverture traduit chaque crédit en sept langues (anglais, français, espagnol, hindi, italien, russe et allemand). Travaillant pour l’Office national du film du Canada (ONF), McLaren peint et gratte directement sur la pellicule 35 mm afin créer une musique visuelle à l’aide de la trame sonore extraite du répertoire du jazzman canadien Oscar Peterson. Durant sa carrière, de 1933 à 1983, il aura réalisé plus de 70 films expérimentaux!

LA NOUVELLE VAGUE : LES GÉNÉRIQUES NARRATIFS

La Truca est un banc-titre qui permet de réaliser les génériques. Elle est aujourd’hui remplacée par des ordinateurs qui permettent des traitements plus complexes de l’image sans perte de qualité.

En 1954, Saul Bass fait ses débuts comme graphiste avec le film Carmen Jones d’Otto Preminger. Durant sa carrière, il aura contribué à plus de 50 films en 40 ans, dont dix autres génériques de Preminger (The Man with the Golden Arm, Saint Joan, Bonjour Tristesse, Anatomy of a Murder, Exodus, Advise & Consent, The Cardinal, In Harm’s Way, Bunny Lake Is Missing et Such Good Friends), cinq de Martin Scorsese (Goodfellas, Cape Fear, The Age of Innocence, Casino et le documentaire A Personal Journey with Martin Scorsese Through American Movies) et trois d’Alfred Hitchcock (Vertigo, North by Northwest et Psycho).

Bass révolutionne ainsi le générique de cinéma. D’une fonction purement informative, il en fait un corps de métier jusque-là sous-estimé qui acquiert une dimension artistique, réalisant de véritables œuvres d’art qui font partie intégrante de la narration en tant que telle. Le principal intéressé définit d’ailleurs son travail comme suit : « Mon idée de départ était qu’un générique pouvait mettre dans l’ambiance et souligner la trame narrative du film pour évoquer l’histoire de manière métaphorique. Je voyais le générique comme une façon de conditionner le public de façon à ce que, lorsque le film commence, il ait déjà un écho émotionnel chez les spectateurs. J’étais convaincu que le film commence vraiment dès la première image. »

De 1962 à 1989, soit pour 14 des premiers James Bond de Dr. No à Licence to Kill, Maurice Binder crée le fameux gun barrel qui introduit chaque aventure la saga. Robert Brownjohn l’a toutefois remplacé pour From Russia with Love en 1963 et pour Goldfinger en 1964. De 1995 à 2015, soit pour 7 des derniers James Bond de GoldenEye à Spectre, Daniel Kleinman perpétue la tradition du gun barrel. La société MK12 l’a toutefois remplacé pour Quantum of Solace en 2008.

En 1963, le duo de dessinateurs DePatie & Freleng crée le personnage animé de la panthère rose qui apparaît pour la première fois durant les génériques de début et de fin de la comédie The Pink Panther réalisé par Blake Edwards. Le succès est tel que les producteurs décident d’en faire le protagoniste d’une série de courts métrages et d’émissions télévisuelles. Au total plus de 300 dessins animés verront le jour. Tout cela à cause de l’originalité d’un générique!

En 1964, Pablo Ferro crée le générique d’ouverture ironique de Dr. Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb réalisé par Stanley Kubrick. Ils collaboreront de nouveau ensemble sur A Clockwork Orange en 1971.

En 1977, Dan Perri crée le célèbre générique de Star Wars durant lequel un texte jaune défile vers sur un fond étoilé. Il est aussi connu pour ses neuf collaborations avec Martin Scorsese (Taxi Driver, New York, New York, The Last Waltz, Raging Bull, The King of Comedy, After Hours, The Color of Money, Gangs of New York et The Aviator).

De 1990 à 2003, soit d’Edward Scissorhands à Big Fish, Robert Dawson a créé, entre autres, tous les génériques de Tim Burton.

En 2002, le duo Kuntzel + Deygas crée le générique de Catch Me If You Can réalisé par Steven Spielberg. Ode au vintage et au minimaliste, il a reçu en 2004 le prix du meilleur générique au Festival International d’Animation d’Ottawa.

De nos jours, la télévision dénature des œuvres cinématographiques en amputant certaines scènes afin de glisser des pauses publicitaires ou de respecter des cases horaires. Pis encore, les génériques se voient souvent accélérés ou écrasés, voire éradiqués, durant leur diffusion. Cette façon de (dé)faire est non seulement une atteinte aux lois élémentaires du droit d’auteur, mais aussi une insulte lancée contre les artisans du film dont le nom a été effacé.

Voici plusieurs vidéos catégorisées comme suit :

    – Génériques d’ouverture
    – Génériques de fermeture
    – Scènes prégénériques
    – Scènes postgénériques
    – Easter eggs dans des génériques de fermeture

GÉNÉRIQUES D’OUVERTURE

À part ceux signés par Saul Bass, une tonne de génériques d’ouverture méritent un coup d’œil. Voici mes préférés :

GÉNÉRIQUES DE FERMETURE

La plupart du temps, les génériques de fin se présentent texte blanc sur fond noir. Toutefois, certains rendent ce défilement de noms moins ennuyant en intégrant le bêtisier du tournage (plusieurs films d’action de Jackie Chan) ou même un faux bêtisier d’un soi-disant tournage (Toy Story 2). Bien qu’ils défilent habituellement du bas vers le haut, quelques rares films tels que Se7en réalisé par David Fincher en 1995 font défiler la liste des noms dans le sens contraire. Une idée du concepteur Kyle Cooper à qui nous devons aussi un générique d’ouverture des plus intéressants pour ce même film.

SCÈNES PRÉGÉNÉRIQUES

Trop nombreuses sont les scènes qui précèdent un générique d’ouverture. La plupart du temps, elles servent à lancer le spectateur in medias res, c’est-à-dire dans le feu de l’action. C’est la marque de commerce des films de la saga James Bond et Mission: Impossible. Quelques incipits remplissent d’autres fonctions, comme celle d’annoncer le ou les thèmes à venir sous forme de métaphore.

SCÈNES POSTGÉNÉRIQUES

La Marvel Cinematic Universe a popularisé l’art de faire des liens entre ses films grâce à des scènes-surprises situées après le générique de fin. Ces scènes servent à lancer un hameçon afin que le spectateur morde à l’appât et attende le film suivant. À noter que l’idée d’annoncer une suite a commencé de manière officielle en 2006 avec The Fast and the Furious: Tokyo Drift et de manière officieuse en 1993 avec Super Mario Bros. Or, l’insuccès de ce dernier n’a engendré aucun second film.

EASTER EGGS DANS DES GÉNÉRIQUES DE FERMETURE

C’est souvent pendant le générique final que le réalisateur ou l’équipe d’un film s’autorisent à faire passer leurs messages personnels au spectateur sous forme d’hommage, de blague ou de clin d’œil. Par exemple, il est écrit qu’aucun dragon (Harry Potter and the Goblet of Fire en 2005), aucun pingouin (Mr. Popper’s Penguins en 2011), aucun raton laveur et aucune créature en forme d’arbre (Guardians of the Galaxy en 2014) n’ont été blessé durant le tournage de leur film respectif. Même chose pour une quelconque extinction de dinosaures (Kung Fury en 2015)!

Dans Frozen (2013), une note humoristique à la fin du générique précise que les propos de Kristoff ne sont pas imputables à qui que ce soit d’autre que lui!

Dans Finding Nemo (2003), Mike Wazowski de Monsters, Inc. (2001) se permet de traverser l’écran en apnée afin que ces deux univers semblent n’en former qu’un!

Dans Harry Potter and the Prisoner of Azkaban (2004), le générique prend l’apparence de la carte du maraudeur et montre des empreintes dans une position légèrement équivoque!

LE MOT DE LA… FIN

Le « The End » à la fin du film Modern Times réalisé par Charlie Chaplin en 1936

À une époque où les grands studios américains, dits majors, adoptent une attitude mercantile en multipliant les suites, les remakes, les antépisodes et les spin-offs, il n’est guère surprenant que les cartons « Fin » ou « The End » n’ont plus aucune raison d’être au grand écran comme au petit. Ils étaient pourtant synonymes de prestige lorsque le cinéma et la télévision misaient davantage sur un succès d’estime. Pour les nostalgiques, cliquez ici.

Autre détail intéressant : depuis longtemps, certains films s’amusent à détourner le logotype de son major. Ils lui font alors subir des nuances de formes (logo gothique dans The Adventures of Robin Hood en 1938 ou les trois derniers Harry Potter), des nuances de couleur (logo jaunâtre dans The Age of Innocence en 1993, logo verdâtre dans la trilogie The Matrix de 1999 à 2003 ou logo en noir et blanc pour Batman Begins en 2005), des nuances de texture (logo en chocolat dans Charlie and the Chocolate Factory en 2005) ou des transformations parodiques (un vampire à la place du lion de la MGM dans Dance of the Vampires en 1967 ou Ralph sort du logo de la 20th Century Fox dans The Simpsons Movie en 2007).

Le logotype de la Warner détourné pour le film The Matrix Reloaded en 2003

Quoi qu’on puisse en penser, le générique demeure un formidable outil d’exploration du cinéma et de ses rouages économiques. En ce sens, avec cet article, j’ai voulu faire connaître son histoire esthétique à grand renfort d’exemples. Pourtant, la question mérite d’être développé pour mettre en lumière la raison pour laquelle certains metteurs en scène comme Ingmar Bergman ou Woody Allen ne cherchent pas, a priori, à donner de l’importance au générique.

Saul Bass a dit : « Je crois que la conception du générique a changé. Ce n’est plus comme avant un support du film mais plutôt désormais comme une sorte de divertissement. Cela me laisse perplexe. Les réalisateurs croient beaucoup moins à l’efficacité du générique, bien que de très beaux génériques soient réalisés. Si je me réfère au passé, j’ai beaucoup apprécié le travail de Maurice Binder et Robert Brownjohn. Actuellement, je ne vois pas. Je veux encore croire à l’importance du générique pour un film comme support indispensable, mais il est très rare maintenant de voir des génériques très bien conçus, percutants. On voit plutôt des choses décoratives. »

Si Bass est reconnu du grand public comme créateur de génériques, il demeure méconnu comme concepteur d’affiches. Il s’agit du sujet de mon prochain article intitulé Le poster au cinéma : quand les couleurs d’un film s’affichent pour ceux et celles qui ne s’en fichent pas!

Affiche du film Love in the Afternoon conçue par Saul Bass en 1957