10 Cloverfield Lane ou quand le facteur stress monte d’un cran et sonne deux fois à une nouvelle adresse…

11 mars 2016 2 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 11 mars, 2016 @ 20:38:54

Se mesurer au 10 Cloverfield Lane de Dan Trachtenberg, c’est risquer de se perdre en conjectures. Quelle relation ce film-ci entretient-il avec le Cloverfield de Matt Reeves? Le personnage de Howard est-il un bon samaritain ou un méchant tortionnaire? Vaut-il mieux rester entre les quatre murs de son bunker ou tenter d’en sortir? Et surtout, surtout, qu’est-ce qui attend le personnage de Michelle au-delà de la porte? Il y a de quoi perdre la tête, à l’image de la statue de la Liberté dans le film de 2008!

10 Cloverfield Lane

L’histoire du film 10 Cloverfield Lane adopte le point de vue de Michelle (Mary Elizabeth Winstead) et commence au moment où la jeune femme vient de quitter son chum Ben. Elle est rapidement victime d’un grave accident de voiture en pleine campagne. Lorsqu’elle reprend connaissance, elle est sous perfusion et enchaînée au mur sur un matelas de fortune. Un certain Howard (John Goodman) entre dans la pièce et lui explique qu’elle se trouve en sécurité dans son bunker souterrain. Il prétend l’avoir sauvé d’une mort certaine en la mettant à l’abri des retombées d’une attaque chimique. Autre surprise, un jeune homme prénommé Emmett (John Gallagher Jr.) partage aussi cet espace claustrophobique. En l’absence de certitude, Michelle veut essayer de s’échapper…

John Gallagher Jr. décrit bien le projet : « C’est un film très différent de ce qu’on a l’habitude de voir, vous savez tous ces films bourrés d’effets visuels pop-corn et de superhéros. C’est un film angoissant, existentialiste. Mon personnage est coincé dans ce bunker avec les personnages de John Goodman et Mary Elizabeth Winstead : ils vont tous les trois traverser une forte crise existentielle et se retrouver confrontés à une réalité qui les dépasse. »

Mary Elizabeth Winstead (Final Destination 3, The Thing, Death Proof) et John Gallagher Jr. (Short Term 12, Pieces of April, la télésérie The Newsroom) sont tous deux très crédibles dans les rôles de Michelle et Emmett, lesquels découvrent peu à peu, en même temps que nous, la Vérité avec un grand V. Si la première est un visage familier pour les amateurs de films d’action et d’horreur, le second demeure un parfait étranger qui gagne à être connu.

En ce qui concerne John Goodman, il nous rappelle à quel point il était un acteur de premier plan dans les années 90 grâce à des films comme The Babe, The Big Lebowski, The Flintstones et même The Borrowers. Son jeu tout en nuance le rend tantôt sympathique, tantôt antipathique, bien qu’il reste toujours d’une justesse fantastique.

À la manière de Matt Damon (spoiler alert : sélectionnez pour lire!) dans Interstellar, je signale la présence d’un guest star qui n’a jamais été mentionné au casting. Du moins jusqu’à tout récemment. Le réalisateur Dan Trachtenberg a vendu la mèche la semaine dernière : « Nous avions besoin d’un tout petit rôle. J.J. Abrams m’a dit qu’il se demandait si Bradley Cooper le ferait. Il est entré en contact et il était enchanté de nous aider. » Quel rôle joue-t-il? À vous de le découvrir, mais sachez qu’il est si subtil que je ne l’ai pas remarqué lors du visionnement!

Je récapitule pour ceux et celles qui capitulent.

En 2008, Cloverfield a pris tout le monde de court avec son savant mélange de film catastrophe et de found footage. Ces deux ingrédients se sont révélés payants, puisque les recettes de cet héritier de Godzilla se sont élevés à 170,76 millions de dollars au box-office mondial, ce qui équivaut à près de 7 fois son budget initial de 25 millions de dollars. Il a donc bien profité du succès de films d’épouvante tels que The Blair Witch Project, Paranormal Activity et [Rec] qui ont ceci en commun qu’ils se présentent sous la forme d’un enregistrement trouvé. À noter que l’idée de départ de Cloverfield revient à J.J. Abrams, agissant à titre de producteur, alors qu’il avait entendu parler d’un son ultra-basse fréquence (baptisé le « bloop ») enregistré par le NOAA à l’été 1997 et qui intrigue toujours la communauté scientifique quant à son origine exacte.

Le réalisateur des films Star Wars: Episode VII – The Force Awakens, Super 8, Star Trek, Star Trek Into Darkness et Mission: Impossible III ne pouvait que prolonger notre expérience dans ce nouvel univers mystérieux dont il tire les ficelles. Et il n’est pas homme à faire les choses à moitié.

Le 15 janvier 2016, soit moins de deux mois avant la sortie du film, une première bande-annonce de 10 Cloverfield Lane a été mise en ligne. Personne ne l’avait vu venir. De par son titre incluant le mot « Cloverfield », de par le nom d’Abrams de nouveau comme producteur et de par son tournage en huis clos qui s’est déroulé dans le plus grand des secrets du 20 octobre au 15 décembre 2014 à La Nouvelle-Orléans, il a instantanément donné une érection aux disciples les plus fidèles. Est-ce une suite ou non? Selon Abrams lui-même, il n’aurait qu’un lien de sang avec le premier film.

Trois personnages dans un seul lieu en huis clos. Le tout, sous une menace constante. Avec un budget famélique de cinq millions de dollars. C’est le défi qu’a confié J.J. Abrams à Dan Trachtenberg pour le film 10 Cloverfield Lane.

Abrams au sujet de Trachtenberg : « C’est Lindsay Weber de Bad Robot qui l’a recommandé. J’étais un peu hésitant à l’idée d’engager quelqu’un qui n’avait pas encore réalisé de film, même si j’avais aimé son Portal: No Escape [ce court-métrage de 2011 et son making-of se retrouvent à la fin de cette critique, NDLR]. Je l’ai quand même rencontré et lors de ce rendez-vous, il m’a prouvé qu’il avait une vision limpide du projet. Il avait les scènes en tête, il connaissait ses personnages et son histoire, il savait ce qu’il voulait faire ressentir au public… »

Trachtenberg au sujet d’Abrams : « C’est sa société qui a mis en place le scénario et le projet. […] J’allais réaliser un autre film qui est tombé à l’eau et ils sont venus me proposer de réaliser 10 Cloverfield Lane. Évidemment, j’ai sauté sur l’occasion et la chance de travailler avec J.J. Abrams. […] J.J. était sur Star Wars pendant que je réalisais ce film, donc nous n’avons pas eu une collaboration 24/24 mais il a été néanmoins présent, à distance, tout au long de l’aventure. Tous les jours, j’étais étonné qu’il puisse regarder tous les rushes et me donner des commentaires! Au-delà du fait que j’admire J.J. en tant que réalisateur, je l’admire encore plus en tant que chef d’entreprise qui arrive à tout faire et à tout mener de front avec Bad Robot. C’est incroyable… J.J. est un aimant pour les meilleurs talents d’Hollywood. »

L’affiche IMAX de Kevin M. Wilson, aka Ape Meets Girl, pour 10 Cloverfield Lane.

Vous doutez encore que J.J. Abrams est un maître ès easter eggs? Une analyse de l’affiche IMAX ci-dessus devrait suffire à vous convaincre.

Tout d’abord, dans les hautes herbes à la gauche de la maison de campagne se cache le droïde du logo de Bad Robot Productions, la société de production de cinéma et télévision créée par Abrams en 1998. Elle est notamment derrière les téléséries Alias (2001-2006), Lost (2004-2010) et Fringe (2008-2013) ainsi que les films Cloverfield (2008), Star Trek (2009), Super 8 (2011), Star Trek Into Darkness (2013) et les trois derniers Mission: Impossible (2006, 2011 et 2015).

Ensuite, gravés sur le poteau de la boîte aux lettres, il est possible de voir en haute résolution le prénom Megan et un dessin en forme de cœur. Il s’agit de la fille du personnage de Howard joué par John Goodman. Nous y reviendrons.

Finalement, dans le coin inférieur droit de la boîte aux lettres, il est possible de lire les initiales TRS. Il s’agit d’un clin d’oeil au Totally Rad Show, une websérie coanimée par Dan Trachtenberg, Alex Albrecht et Jeff Cannata. Subtil? Ce n’est pas tout!

Il y a beaucoup plus à découvrir sur Internet. Abrams et son équipe de Bad Robot se sont amusés à créer un jeu de piste online bourré d’énigmes dans lequel les internautes naviguent de faux sites en faux sites afin d’obtenir, en parallèle au film, du contenu exclusif sur le backstory de certains personnages. Ces informations à la fois complémentaires et supplémentaires contribuent à étendre cet univers fictif. Cela fidélise également les cinéphiles en dehors de la salle de projection. Des easter eggs, en veux-tu? En-voilà!

Comme je l’ai déjà dit, John Goodman joue un certain Howard. Depuis deux mois, quoique ce n’est plus le cas depuis deux jours, il était crédité au générique sous le nom de Howard Stambler sur les sites Internet Movie Database et Wikipédia. Une simple recherche de ce nom fictif sur Google renvoie sur le site de Tagruato, une société japonaise (et fictive aussi!) qui possède quatorze zones de forage pétrolières sous-marines sur la planète et une filiale étudiant les organismes vivant sous des températures extrêmes dans les fonds marins. Ce site existe depuis 2008 pour la promo virale et inédite de Cloverfield. Il y est écrit que Stambler occupe un poste chez Bold Futura dans les communications par satellite.

Ce n’est pas tout, loin de là. Sur sa photo, plus précisément sur son t-shirt, il est possible de lire Radio Man 70. L’entrée du site www.RadioMan70.com renvoie automatiquement au site www.FunAndPrettyThings.com. Cette page contenant une galerie de 16 photos peut sembler en apparence anodine, mais c’est tout le contraire.

La cinquième photo montre des dés lettrés qui forment l’alphabet. Il manque A-E-G-M-N, soit M-E-G-A-N. Très subtil!

La sixième photo est la plus intéressante. Les cinéphiles avertis auront remarqué qu’il s’agit d’un screenshot du film Pretty in Pink (1986). Mieux encore, c’est la seule photo de la galerie que vous pouvez cliquer pour agrandir. Une boîte de dialogue apparaît et l’utilisateur doit entrer une phrase pour continuer (a passphrase is requested by RadioMan70.com). Visionnez ci-dessous une scène de ce teen movie :

La conversation entre Andie (Molly Ringwald) et Blane (Andrew McCarthy) commence par la phrase « Do you want to talk? ». Il s’agit de la passphrase exigée par RadioMan70.com. Elle donne accès à un forum de discussion dans lequel RadioMan70 (le pseudonyme de Howard Stambler) donne des conseils de survie à Megan, aka RadioGirl. Au fils des cinq premiers messages, sur un total de sept, il y a deux liens qu’il est possible de visiter :

www.funandprettythings.com/lifepreservinginformation
www.space.com/31888-us-spy-satellite-dazzling-launch-nrol45.html

Le sixième message est de Denise, ex-femme de Howard et mère de Megan. Elle a découvert le pot aux roses.

Le septième et dernier message est de NR (Nikolai Roza, le collègue de travail de Howard chez Bold Futura?) qui donne un lien audio. Une autre piste s’ouvre.

Si vous tentez d’écrire un message, il vous sera demandé si vous êtes Megan ou non. Si vous répondez positivement, vous devrez répondre à la question de sécurité « What was the secret gift I gave you on your 13th birthday? ». Personne n’a trouvé la réponse au moment d’écrire ces lignes. Le jeu de piste online s’arrête donc ici pour moi, sans savoir de quoi il en retourne.

Je vous recommande fortement l’excellent site Cloverfield Clues pour plus de détails et des mises à jour.

Le réalisateur Dan Trachtenberg, les acteurs John Goodman, John Gallagher Jr. et Mary Elizabeth Winstead ainsi que le producteur J.J. Abrams à l’avant-première du film 10 Cloverfield Lane à New York le 9 mars 2016.

10 Cloverfield Lane remplit-il ses promesses? La réponse est oui, en dépit du fait qu’il pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. C’est là le génie d’Abrams, c’est-à-dire qu’il multiplie les points d’interrogation afin d’obtenir un point d’exclamation plus percutant. Souvenez-vous de toutes les théories au sujet de Luke Skywalker dans Star Wars: Episode VII – The Force Awakens avant le 18 décembre dernier, preuve d’un talent rare à une époque où les spoilers pleuvent sur les réseaux sociaux…

Bref, dans 10 Cloverfield Lane, le jeu du chat et de la souris entre les trois personnages fonctionne (je compte un chat et deux souris dans ce cas-ci). Partir du particulier au général fait en sorte que le suspense habilement mené va crescendo jusqu’à un point d’orgue aussi déroutant que l’accident de Michelle au début du film. En ce sens, sa structure s’apparente au film The Maze Runner que j’avais aussi beaucoup apprécié. Le tagline est clair : les monstres se présentent sous bien des formes. Or, huit ans après avoir vu un kaiju en rut se déchaîner sur New York à travers une caméra tout aussi déchaînée, c’est à travers une caméra moins épileptique que ce huis clos se présente à nos yeux. Après tout, l’effet recherché par le found footage était de capter une réalité sur le vif, une esthétique passée de mode aujourd’hui.

Abrams tease déjà un autre film appartenant à son univers étendu : « Je vous mentirais si je ne vous disais pas qu’il y a autre chose qui, si nous pouvons le faire, pourrait être sympa et lier les histoires entre elles. » Au moins un troisième Cloverfield est donc en préparation. Espérons seulement que cette franchise ne s’éternisera pas comme les six saisons de la télésérie Lost. Et qu’elle se terminera sur un meilleur point d’exclamation!

Verdict : 8 sur 10