
Batman v Superman: Dawn of Justice ou en quoi ce choc des titans est-il un tantinet choquant?
25 mars 2016 25 mars, 2016 @ 17:03:21Les superhéros et l’adaptation de comics sont plus populaires que jamais, et, avec l’entrée en guerre de la Warner face à Disney, ce n’est pas prêt de s’arrêter de sitôt. Cet affrontement entre le Dark Knight et le Man of Steel permet au studio de poser les bases du DC Cinematic Universe, ce qui signifie de mettre à la fois des personnages sur les cases de l’échiquier et des dates sur les cases du calendrier. Le Marvel Cinematic Universe n’a qu’à bien se tenir, quoique ce n’est peut-être pas avec ce film-ci qu’il remportera une première bataille…
Batman v Superman
Le générique d’ouverture de Batman v Superman (re)montre le meurtre des parents de Bruce Wayne. Inutile. Nous revoyons ensuite le fight final du Man of Steel de 2013, selon le point de vue du chevalier noir de Gotham (Ben Affleck), alors que Superman (Henry Cavill) affronte Zod (Michael Shannon) au détriment des édifices de Metropolis qui s’écroulent un à un. Une scène intéressante qui fait écho au 11 septembre 2001 et au traumatisme que cet attentat a laissé sur le peuple américain. En ce qui concerne le reste du film, il s’évertue beaucoup à introduire la Justice League de DC, l’équivalent des Avengers pour Marvel, et un peu à faire de Lex Luthor (Jesse Eisenberg) le cerveau d’un plan machiavélique visant à détruire le monde tout en forçant les deux superhéros à en venir aux coups.
« Dès que l’on a su que Superman allait combattre Batman, cela a transformé le film : on est donc passé d’un sequel de Man of Steel à un prequel de la Justice League. […] Quand on a commencé à bosser sur le film, j’ai tout de suite pensé qu’il fallait intégrer plus de personnages à l’histoire. Que ce soit des caméos, un indice qui montre qu’ils existent dans ce monde… Je suis fan des univers étendus et je veux voir la Justice League réunie sur grand écran. Dès la première conversation, il était question de rendre ça crédible. Avec Man of Steel, on a installé la plomberie. Là, on ouvre le robinet. »
Cette citation du réalisateur Zack Snyder (Man of Steel, 300, Watchmen, Dawn of the Dead) résume à elle seule la volonté de son dernier film et, surtout, son principal défaut. Il agit tellement comme un entre-deux qu’il peine à raconter sa propre histoire avec un début, un milieu et une fin. Il a peut-être trop ouvert le robinet, ce qui explique le côté « sinistre » du résultat…
Un nouveau superhéros (une première véritable superhéroïne!) fait d’ailleurs son entrée par la grande porte et d’autres sont annoncés. En effet, Wonder Woman (Gal Gadot) joue un rôle majeur dans l’intrigue, une présence inespérée tant le nombre de superhéros masculins est élevé. Aquaman (Jason Momoa), Cyborg (Ray Fisher) et Flash (Ezra Miller) sont teasés brièvement, ce dernier deux fois plutôt qu’une lors d’une scène-surprise en plein milieu du film. Je ne vous en dirai pas plus, sinon qu’elle remplace la traditionnelle scène post-générique si chère à Marvel. Il y a aussi un clin d’œil adressé au Joker (Jared Leto), annonçant en même temps la Suicide Squad prévue le 5 août 2016 et un éventuel et énième film consacré à l’homme chauve-souris (il serait question de Jason Todd en vilain, ancien Robin tué par le Joker lui-même).
Le Superman d’Henry Cavill (Man of Steel, The Man from U.N.C.L.E., Immortals et la télésérie The Tudors) est plus en forme que jamais, étirant son costume au maximum de sa capacité, mais son rôle manque cruellement de profondeur.
Le Batman de Ben Affleck (Gone Girl, Armageddon, Pearl Harbor, Good Will Hunting) est plus dark que jamais, rongé par la tristesse et la colère. Une scène d’entraînement permet d’apprécier son corps musclé, résultat de sa préparation avant le tournage. L’acteur de 43 ans surprend, faisant à la fois oublier le Daredevil de 2003 ainsi que le bashing spectaculaire dont il a été victime au moment où il a décroché le rôle le 23 août 2013.
La Wonder Woman de Gal Gadot, actrice israélienne exclusivement connue pour son rôle de Gisele dans les quatre derniers opus de la saga Fast and Furious, se pavane dans un costume de cuir, ce qui est beaucoup plus sexy que le costume kitsch porté par Linda Carter dans l’adaptation télévisuelle des années 70. Comme dirait l’autre : autre temps, autres mœurs.
Le Lex Luthor de Jesse Eisenberg (The Social Network, Now You See Me, Zombieland) ressemble à un Mark Zuckerberg sur les boissons énergisantes. Bien qu’il personnifie la némésis de Superman au même titre que le Joker pour Batman, il tombe un peu dans le piège de la caricature. Il se range donc devant (attention : jeu de mot) l’ex-Luthor de Kevin Spacey, mais très loin derrière celui de Gene Hackman dont il n’arrive pas à la cheville.
Quant au Alfred Pennyworth de Jeremy Irons (Die Hard: With a Vengeance, Kingdom of Heaven) et à la Lois Lane d’Amy Adams (American Hustle, The Fighter, Catch Me If You Can), ils s’en sortent avec la note de passage, sans plus.
Zack Snyder reste en terrain familier, puisque Batman v Superman: Dawn of Justice s’inscrit dans sa filmographie biberonnée aux BD. Après l’adaptation de 300 en 2004 et celle de Watchmen en 2009, il s’est risqué dans l’aventure de Man of Steel en 2013. Cette origin story a permis au réalisateur de voler au secours de Bryan Singer et de son désastreux Superman Returns de 2006, même si certains détracteurs ont discrédité le film tout entier à cause d’une simple nuque brisée (celle de Zod). Son travail sur ce prequel maquillé en sequel est donc un peu bâclé, brouillon, expéditif, comme si ses genoux avait courbé l’échine sous le poids des films à venir.
Le scénario imparfait revient à David S. Goyer et Chris Terrio. Le premier est derrière Man of Steel, Jumper ainsi que les trilogies The Dark Knight et Blade. Le second, appelé en renfort, est derrière Argo (réalisé par Ben Affleck) et bientôt The Justice League Part 1 & 2. Leur travail manque d’inspiration (ou de liberté?), misant sur un discours politico-religieux lourd et ennuyeux. Trop de plans montrent le fils de Krypton comme une figure messianique et divine, au point d’en oublier l’identité « secrète » de Clark Kent. Et que dire du revirement 180 degrés causés par le simple prénom commun de Martha?
Hans Zimmer (Inception, Interstellar, Pirates of the Caribbean, The Da Vinci Code) est de retour avec sa musique tant intéressante qu’omniprésente. Chaque personnage possède son propre thème, un leitmotiv qui l’accompagne dès qu’il apparaît à l’écran. Celui de Wonder Woman est particulièrement bon.
Au-delà de l’animosité entre deux grandes figures bédéesques que représentent Batman et Superman, il y a celui entre les deux studios. Ce n’est pas un hasard si le 6 mai 2016 est réservé pour la sortie d’une guerre civile entre Captain America et Iron Man dans Captain America: Civil War. Qui remportera la bataille des face-à-face, DC/Warner ou Marvel/Disney? À mon avis, leurs héros se ressemblent : Bruce Wayne/Batman et Tony Stark/Iron Man en raison de tous leurs gadgets dernier cri, et Clark Kent/Kal-El/Superman et Steve Rogers/Captain America en raison de leurs couleurs renvoyant au patriotisme américain.
Mark Millar, auteur des comics Kick-Ass, The Secret Service, Wanted et du très attendu Civil War, a donné son opinion sur l’avenir de DC : « Leur planning sur cinq ans sera probablement entièrement remis en cause. Tout va dépendre de la rentabilité du film. S’il plafonne à 600 millions de dollars de recettes mondiales comme Man of Steel, alors ce sera fini. Ils cesseront la mise en chantier des autres films, ils auront perdu trop d’argent. À partir de 1,2 milliard de dollars de recettes, là oui ils seront dans une zone de rentabilité. […] Les héros Marvel sont plus adaptés au cinéma. Les personnages de DC appartiennent davantage à une génération victorienne, ils ont été créés à une époque plus proche de Tarzan ou du Phantom, il vaut peut-être mieux les laisser au passé. C’est la dernière tentative pour les ramener à la vie et si ça ne marche pas, ils disparaîtront pour longtemps. »
Une autre bataille entre les deux studios se prépare avec les diptyques Infinity War (4 mai 2018 et 3 mai 2019) et Justice League (17 novembre 2017 et 14 juin 2019). À suivre.
Même s’il est saturé d’effets spéciaux numériques, le fight final contre un certain Doomsday (spoilé dans les bandes-annonces de la pire manière qui soit, digne d’un top 3 avec le sort de John Connor dans Terminator Genisys ou celui de la femme du protagoniste dans Southpaw!) vaut le détour, étant donné qu’il permet à Wonder Woman de démontrer l’étendue de son talent et de voler la vedette. Ce personnage, qui a plus d’une corde à son arc et plus d’un tour dans son sac, fera d’ailleurs l’objet d’un film solo dont la sortie est prévue le 23 juin 2017. Nous pourrons alors oublier le Catwoman de 2004 avec Halle Berry et l’Elektra de 2005 avec Jennifer Garner, quoique je reproche aux scénaristes de l’avoir présenté exactement comme la Catwoman d’Anne Hathaway dans The Dark Knight Rises…
Selon Snyder lui-même, une version DVD baptisée Ultimate Cut contiendra pas moins de 30 minutes supplémentaires. C’est beaucoup de matériel inédit pour un film qui dure déjà 151 minutes. « Pour le moment, je travaille sur Justice League. J’en suis encore à l’étape où je dessine des logos et des essais de titres, ce genre de choses, pour voir un peu ce que l’univers de Justice League signifie, visuellement, et nous verrons si le titre évolue avec cette mise en forme. »
Bref, Batman v Superman: Dawn of Justice porte trop bien son sous-titre, en ce sens qu’il prépare les prochaines années de la Warner, la DC Cinematic Universe et la Justice League. Le résultat est dénué d’humour et les personnages se prennent trop au sérieux, sans oublier le manque de cohérence dans l’enchaînement des scènes. C’est dommage pour un projet en pourparlers dès 2001 avec Wolfgang Petersen (Troy) en tant que réalisateur, puis en 2007 devant la caméra de George Miller (Mad Max: Fury Road) sous le titre Justice League: Mortal. Deux projets abandonnés. Si cette version signée Zack Snyder ne dépasse pas le milliard de dollars au box-office mondial, remboursant au passage son budget de plus de 400 millions de dollars, la pelouse du voisin Marvel restera plus riche en billets verts. Espérions que Millar aura tort, sans quoi ce n’est pas seulement cette bataille-ci que Warner aura perdu, mais la guerre au complet.
Verdict : 7 sur 10
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d’événement, publicités, vidéoclips). Il s’occupe d’ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d’une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l’UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l’UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca
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