Train to Busan – Critique du film de Sang-ho Yeon

1 août 2016 0 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 1 août, 2016 @ 17:47:32

Le 13 mai 2016, le réalisateur sud-coréen Sang-ho Yeon (The Fake, The King of Pigs) a réveillé la Croisette grâce à son premier film en prises de vue réelles, Train to Busan, faisant ainsi suite à son long métrage d’animation Seoul Station sorti également cette année. Train to Busan (Dernier train pour Busan) y était présenté hors compétition en séance de minuit. J’ai eu la chance de le visionner deux mois et demi plus tard en première nord-américaine à Fantasia.

Train to Busan

Seok-woo (Yoo Gong), un gestionnaire carriériste, s’est toujours investi davantage dans son travail que dans sa famille. Résultat, il est divorcé et sa fille Soo-an (Kim Soo-ahn) n’a qu’un souhait pour son anniversaire : aller voir sa mère dans une ville voisine. Ils montent donc à bord du train à haute vitesse Korea Train Express (KTX) en provenance de Seoul et en partance pour Busan. Or, un à un, les passagers deviennent des zombies survoltés. Afin de survivre et de protéger Soo-an, Seok-woo devra entre autres s’allier à un mastodonte aux poings dévastateurs (Ma Dong-seok), un as frappeur du baseball (Choi Woo-sik), une femme enceinte (Jeong Yu-mi), un itinérant (Jeong Seok-yong) et un homme d’affaires sans pitié (Kim Ee-seong).

Train to Busan réussit là où World War Z a lamentablement échoué en 2013, c’est-à-dire à ne pas recourir à la facilité que propose l’ordinateur (tout le monde se souvient, en mal, des montagnes numériques de corps putréfiés). Il a plutôt fait appel à de véritables contorsionnistes et de maquillages réalistes. La transformation est d’ailleurs une des belles réussites du film, obtenue grâce à des accélérations de caméra ainsi que des bruits d’os qui se désemboîtent/remboîtent ou qui se cassent.

Le zombie de Sang-ho Yeon se rapproche davantage du contaminé enragé de Danny Boyle (28 Days Later…) que du mort-vivant léthargique de George A. Romero (Night of the Living Dead, Dawn of the Dead), deux créatures souvent confondues. L’une trouve son origine dans un virus et l’autre n’est qu’un mort revenu à la vie. Le réalisateur sud-coréen emprunte toutefois à Romero l’idée d’un niveau de lecture allégorique, jadis une critique de la guerre du Viêt Nam ou de la société de consommation, aujourd’hui un microcosme sur les inégalités sociales et le manque de solidarité dans un sauve-qui-peut général. Il y a un sous-texte anticapitaliste qui montre du doigt le vrai visage des requins de la finance, lesquels sont jetés sans bouée de sauvetage dans une mer de zombies qu’ils ont eux-mêmes provoquée.

Les personnages, même s’ils sont stéréotypés, ont tous fait l’objet d’une attention particulière. Ils suivent chacun leur propre parcours initiatique, à commencer par le protagoniste qui se découvre rien de moins qu’un cœur. C’est probablement ce qui différencie le plus ce blockbuster coréen d’un blockbuster hollywoodien.

Yoo Gong (Silenced, The Suspect, Like a Dragon, la télésérie The 1st Shop of Coffee Prince) est excellent en père de famille. Même chose pour Jeong Yu-mi (Silenced, Family Ties, Like You Know it All) en femme enceinte. La palme revient toutefois à Ma Dong-seok (Norigae, One on One, The Neighbor), le mastodonte aux poings dévastateurs dont chaque réplique et chaque geste se méritait les rires et les applaudissements du public.

Voir s’entrechoquer et s’entrecroiser les relations entre les personnages, que ce soit à petite échelle (un père et sa fille, un couple attendant un enfant, deux sœurs âgées) ou à grande échelle (les riches et les pauvres, les jeunes et les vieux, les hommes et les femmes), apportent quelque chose qui manque dans ce genre de production. Le plan d’ouverture, un mannequin de plastique vide et désincarné capté de près, résume à lui seul le message du film : nous avons bel et bien perdu notre humanité.

Yoo Gong à propos du film : « Some say Train to Busan is a commercial summer movie, but I think otherwise. I thought it was a sad movie when I first saw the scenario. As a person in this society, I was able to relate to several parts of the movie and I hope the audience can too. »

Si l’action reste frénétique dans la première moitié du film, elle fait place à un suspense haletant dans la seconde moitié au cours de laquelle trois survivants doivent remonter les wagons (sur)peuplés de zombies afin de sauver d’autres personnages prisonniers à l’autre extrémité.

Les 417 kilomètres de distance séparant Seoul et Busan (première et deuxième ville en importance de la Corée du Sud) sont traversés à une vitesse de 300 kilomètres à l’heure à bord du train KTX. Il s’agit donc d’une belle leçon de gestion de l’espace scénique. N’oubliez pas qu’il est difficile de maintenir l’attention des spectateurs pendant 118 minutes en se limitant aux couloirs exigus et longitudinales d’un train en mouvement!

Bref, Train to Busan est un huis clos surprenant tant pour les références qu’il fait aux classiques du sous-genre zombiesque (par exemple, le livre dans la gueule du zombie rappelle The Fearless Vampire Killers de Roman Polanski) que pour ses trouvailles situationnelles (les jeux de lumière avec les tunnels). La précision des cadrages n’a d’égale que la lisibilité de la mise en scène, ce qui s’explique par l’expérience acquise du réalisateur en animation. Ce dernier réussit haut-la-main la transition vers le film live, comme Brad Bird (de Ratatouille à Mission: Impossible – Ghost Protocol) et Tim Burton (de Frankenweenie à Beetlejuice) avant lui.

Verdict : 8 sur 10