Blood Father – Critique du nouveau film avec Mel Gibson

6 août 2016 0 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 6 août, 2016 @ 10:38:02

Le Doom-like est à l’industrie du jeu vidéo, ce que le Taken-like est au cinéma. J’entends par là un film d’action où le cerveau du protagoniste l’emporte sur ses muscles, à quelques combats au corps à corps près, ce qui explique qu’il est joué par un acteur d’âge mûr. Liam Neeson a provoqué un raz-de-marée avec Taken en 2008, au point de devenir une trilogie. The Equalizer, mettant en vedette Denzel Washington, est un exemple de titre qui a surfé sur ce succès. C’est maintenant au tour de Mel Gibson avec Blood Father.

Depuis que John Link (Mel Gibson) est sorti de prison, il mène une vie rangée comme tatoueur. Il ne demande pas grand-chose en retour, sinon de retrouver sa fille, Lydia (Erin Moriarty), disparue depuis plusieurs années. Celle-ci débarque chez lui, poursuivie par des narcotrafiquants à la suite d’un braquage qui a mal tourné. Lorsque les membres du cartel viennent frapper à la porte de sa caravane, ils sont loin de se douter à qui ils ont affaire…

Mel Gibson a ressuscité d’entre les morts grâce à deux films dans lesquels il jouait l’antagoniste, Machete Kills et The Expendables 3. Blood Father lui offre son premier vrai rôle en tant que protagoniste depuis 14 ans (!), soit depuis Signs et We Were Soldiers en 2002. À noter qu’il avait également réalisé Apocalypto en 2006.

En une décennie, l’acteur de 60 ans en a vu de toutes les couleurs : une arrestation pour alcool au volant le 28 juillet 2006, une séparation d’avec Robyn Denise Moore après 26 ans de mariage dès le lendemain, des accusations pour propos antisémites, une séparation d’avec la pianiste russe Oksana Grigorieva qui lui a coûté 750 000 dollars en août 2011, un divorce d’avec sa femme Robyn élevé à 425 millions de dollars (un record à Hollywood!) le 23 décembre 2011, etc.

Dans la première scène de Blood Father, John/Mel se confie à une réunion d’anciens alcooliques un peu comme Jean-Claude Van Damme se confessait à la caméra dans JCVD en 2008, faisant le point sur ses déboires et sa (sur)vie. Cette conversation va au-delà de l’écran et s’adresse indirectement aux spectateurs. Excuses acceptées, Mel. Le caractère méta fait même en pas en avant en proposant une caravane sortie tout droit de Lethal Weapon et un fusil de chasse à canon scié pareil à celui de Mad Max 2. Les fans seront ravis.

La relation père/fille est traitée tantôt avec sérieux, tantôt avec humour, mais toujours de manière à ce que nous y croyons. Erin Moriarty (The Kings of Summer, The Watch, les téléséries Jessica Jones et True Detective) est excellente en jeune femme qui se met les pieds dans les plats, puis se tourne vers sa figure paternelle en cas de besoin. William H. Macy (Fargo, Jurassic Park III, Pleasantville) et Diego Luna (Y tu mamá también, Milk, Elysium) sont corrects, sans plus, respectivement dans les rôles du parrain/ami de John et du petit ami de Lydia.

Mel Gibson (Braveheart, Ransom, Payback) est parfait dans le rôle d’un ex-motard, ex-alcoolique et ex-taulard. Il a réellement huit enfants, deux filles et six garçons, je ne suis donc pas surpris qu’il se mette si aisément dans la peau d’un repris de justice qui doit défendre sa fille contre de jeunes vendeurs de drogues. Décidément, ces derniers n’ont pas vu de quoi il est capable dans The Patriot!

Mel Gibson et Erin Moriarty dans Blood Father.

Blood Father se base sur le roman éponyme écrit par Peter Craig (The Town, The Hunger Games: Mockingjay – Part 1 & 2) qui l’a lui-même transformé en scénario. Il a reçu l’aide de la scénariste Andrea Berloff (Straight Outta Compton, World Trade Center). Le réalisateur français Jean-François Richet (Assault on Precinct 13, le diptyque Mesrine) a été séduit par le livre, notamment l’image qu’il donne d’un pays soumis aux impératifs d’une jeunesse nombriliste qui fuit dans la drogue, et de la glorification de la voyoucratie en opposition au prolétariat.

Jean-François Richet au sujet de l’histoire : « Il y avait la matière sociétale que j’aime. Le conflit dramaturgique entre le père et la fille était déjà installé au vu de leurs mondes respectifs. Le personnage qu’interprète Mel est une figure iconique. En effet, il a des valeurs, en effet, sa vie n’est qu’un sacrifice. Toute sa vie il a encaissé, il ira même en prison pour protéger son « père adoptif ». Il en récolte quoi? Rien! Pour sauver sa fille, pour effacer son absence, pour lui transmettre le goût de vivre, il se libérera dans la violence. Alors la violence devient libératrice. »

Richet s’est inspiré de l’œuvre de John Ford (Stagecoach, The Searchers, The Grapes of Wrath) afin de filmer autour de la ville d’Albuquerque au Nouveau-Mexique entre le 5 juin et le 3 juillet 2014. Comment? En gardant en mémoire le principe 1/3 de terre pour 2/3 de ciel, illustrant la demi-mesure de l’homme devant la démesure du monde.

William H. Macy dans Blood Father.

Le réalisateur précise : « L’avantage d’un tournage à petit budget comme celui-ci, c’est que j’ai le final cut. C’est mon montage, et non celui de la production ou du studio. Remarquez, je n’ai jamais eu envie de renier un de mes films, qu’il s’agisse de ceux tournés en France ou de ceux aux États-Unis. D’ailleurs, il y a du bon dans la façon de fonctionner des grands studios. Une fois que le montage cinéma est prêt, on a dix semaines additionnelles pour proposer un montage personnel, un director’s cut. Ils procèdent ensuite à des projections-tests et c’est le montage qui obtient les meilleurs résultats qu’ils conservent. Contrairement à l’idée reçue, les gens des studios ont souvent de bonnes idées. »

Aussi, il y a une scène où John termine le tatouage d’un client. Il s’agit du Don Quichotte de Picasso, une ébauche dessinée à la main publiée en 1955 dans le mensuel Les Lettres françaises dans le cadre des 350 ans de la première partie du roman El ingenioso hidalgo don Quijote de la Mancha écrit par Miguel de Cervantes.

Notez le parallèle à faire entre le personnage incarné par Mel Gibson et cette citation de l’écrivain portugais José Saramago au sujet du roman de 1605 : « Don Quichotte s’obstine à ne pas être lui-même, mais à être celui qui sort de chez lui pour entrer dans ce monde parallèle et vivre une nouvelle vie, une vie authentique. Je crois qu’au fond, ce qui est tragique, c’est l’impossibilité d’être quelqu’un d’autre. »

Le Don Quichotte de Picasso est l’un des tatouages dans le film.

Bref, présenté en avant-première mondiale à Cannes le 21 mai 2016 et en première canadienne à Fantasia le 3 août 2016, Blood Father démontre que Mel Gibson a encore sa place devant la caméra et qu’il n’a rien à envier à d’autres acteurs de sa génération tels que Liam Neeson (64 ans) ou Denzel Washington (61 ans). Il faut patienter jusqu’au 4 novembre 2016 pour voir le prochain film qu’il a réalisé, un drame de guerre intitulé Hacksaw Ridge. Qui plus est, Randall Wallace, scénariste de Blood Father, a annoncé récemment que Gibson et lui travaillaient sur la suite du controversé The Passion of the Christ sorti en 2004. Il racontera la résurrection de Jésus… et confirmera le come-back de Gibson au passage?

Verdict : 7,5 sur 10

John Link utilise un fusil de chasse à canon scié comme dans Mad Max 2.