
78/52 – Critique du documentaire d’Alexandre O. Philippe
21 juillet 2017 21 juillet, 2017 @ 16:17:17Tout le monde connaît, de nom ou de vue, Psycho réalisé par Alfred Hitchcock en 1960. Plus d’un demi-siècle après sa sortie, sa célébrissime scène de la douche continue de faire couler de l’encre à mesure que les cinéphiles la visionnent, que les réalisateurs lui rendent hommage et que les élèves en font le sujet de leurs recherches. Le documentaire 78/52 d’Alexandre O. Philippe fait tout cela avec ce moment d’anthologie qui a marqué l’histoire du cinéma, au point de recevoir un « slash » indélébile entre son avant et son après.




Le titre de 78/52 renvoie aux 78 plans qui composent la scène de 52 secondes au cours de laquelle Marion Crane (Janet Leigh) se fait brutalement assassiner sous la douche à coups de couteau. Il s’agit ni plus ni moins d’une moyenne d’un plan et demi par seconde, ce qui équivaut de nos jours au montage effréné d’un film d’action mettant en vedette Liam Neeson (impossible de faire un plan-séquence avec un homme de 65 ans qui n’a plus de cardio!). À noter que la scène d’Hitchcock a coûté à elle seule 62 000 dollars (13% d’un modeste budget de 806 947 dollars), qu’elle a été filmée en sept jours (9% d’un tournage de 63 jours) et qu’elle a exigé pas moins de 70 prises différentes en compagnie tantôt de Janet Leigh (plans rapprochés), tantôt de Marli Renfro (doublure nue de Janet pour les plans éloignés) et Virginia Gregg (doublure du tueur). Anthony Perkins, en voyage à New York, n’était pas présent cette semaine-là!
Il faut se mettre dans le contexte de l’époque et se dire que ce pivot narratif très inattendu avait tout pour déstabiliser les spectateurs. En effet, la perspective de voir Janet Leigh dans son plus simple appareil (le verbe épier convient mieux tellement le dispositif voyeuriste se met adroitement en place!) constituait alors une distraction considérable, surtout qu’elle venait de tourner Touch of Evil et The Vikings. Coït interrompu : elle se fait sauvagement enlever la vie à seulement un tiers de la durée du film. Une première. Or, ce n’est là que la point visible de l’iceberg en ce qui concerne l’effet de surprise… ou plutôt l’effet de suspense tel que mentionné durant le documentaire.
Janet Leigh l’a si bien résumé : « La construction de cette scène est très ingénieuse. Car à partir de là, Hitchcock réussit à mettre en scène non plus ce que le spectateur voit réellement, mais ce qu’il croit voir. Il signe ce coup de maître grâce au montage et le public, pris dans l’action se laisse emporter. Chaque coupure est comme un coup de couteau. Le public se prend à croire, finalement, qu’il s’agit d’un coup de couteau, quand ce n’est qu’une coupure. Le mot coupure est d’ailleurs bien choisi, il correspond aux coups de couteau. »
Savamment ordonnée, la grammaire de l’image (angles, échelle de plans, mouvements) revient à Saul Bass, auteur de huit génériques pour Hitchcock, qui a dessiné le story-board de la scène à la demande du réalisateur. Celui-ci voulait quelque chose de différent et il a été servi. Jamais le couteau du meurtrier n’entre en contact avec la peau de sa cible. Pourtant, grâce à la magie d’un montage rapide et suggestif, ce que les férus connaissent sous le nom de l’effet Koulechov, nous sommes persuadés du contraire.
Et que dire du son orchestré de main de maître, sinon que la musique archiconnue du compositeur Bernard Herrmann commence et se termine au moment propice afin que l’insupportabilité atteigne son paroxysme? Ses cordes stridentes, simples quoique efficaces, utilisées avec parcimonie comme leitmotiv à quelques reprises dans le film, ont été obtenues au moyen de violons syncopés et dissonants.
Le meurtre sous la douche reste à ce jour l’extrait filmique le plus analysé par le corps estudiantin. Ce n’est pas un hasard si Alexandre O. Philippe l’a choisi parmi des tonnes et des tonnes de scènes possibles. Ce réalisateur helvético-américain, qui nous avait offert The People vs. George Lucas en 2010, récidive en force avec 78/52. Il accorde du temps pour que chaque élément soit exploré sous toutes ses coutures. Impossible de ne pas se laisser emporter par cette vague enthousiasmante!
Voici la liste exhaustive des 41 intervenants qui, à grands renforts d’anecdotes et de faits intéressants, prennent tour à tour la parole pendant 91 minutes :
Justin Benson
Peter Bogdanovich
Marco Calavita
Tere Carrubba
Pepijn Caudron
Jamie Lee Curtis
Guillermo del Toro
Amy E. Duddleston
Danny Elfman
Mali Elfman
Bret Easton Ellis
Jeannie Epper
Jeffrey Ford
Mick Garris
Emilie Germain
Norman Hollyn
Jim Hosney
Chris Innis
Bill Krohn
Karyn Kusama
Neil Marshall
Shannon Mills
Aaron Moorhead
Howie Movshovitz
Bob Murawski
Walter Murch
Daniel Noah
Oz Perkins
Fred Raskin
Stephen Rebello
Marli Renfro
Eli Roth
Gary Rydstrom
Scott Spiegel
Timothy Standring
Richard Stanley
John Venzon
Josh C. Waller
Leigh Whannell
Elijah Wood
Je ne m’attendais pas à en apprendre à ce point sur un extrait que je connais par cœur, sur lequel j’ai beaucoup lu et que j’ai étudié à l’école. Ces nouveautés me forcent aujourd’hui à accroître davantage mon respect envers « le maître du suspense » qui mérite ce surnom plus que quiconque. Rien n’est épargné par Alexandre O. Philippe, que ce soit ce qui a inspiré la fameuse scène ou ce qu’elle a inspiré, en passant par le montage, la musique, le jeu des acteurs, le décor immaculé de la salle de bain ou encore le choix du liquide pour imiter le sang ainsi que du melon pour imiter le bruit des coups de couteau.
Bref, 78/52 intéressera quiconque cherche à en apprendre plus sur le film culte et sa scène tout aussi culte mille fois copiée, jamais égalée. C’est d’autant plus remarquable qu’aucun autre long métrage documentaire ne s’est ainsi consacré à décortiquer 52 petites secondes jusque dans les moindres détails. Si le 47e film d’Hitchcock (sur un total de 53!) est une magistrale leçon sur la manière de suggérer l’horreur avec une économie de moyens, ses suites (1983, 1986 et 1990, toutes trois avec Anthony Perkins), son remake plan par plan en couleurs (réalisé par Gus Van Sant en 1998) et la télésérie Bates Motel (diffusée depuis 2013) n’auront servi qu’à prouver combien l’original de 1960 reste une œuvre réfractaire à toute actualisation. Merci à Alexandre O. Philippe de nous le rappeler de si belle façon.
Verdict : 9 sur 10
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d’événement, publicités, vidéoclips). Il s’occupe d’ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d’une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l’UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l’UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca