Dunkirk – Critique du film de Christopher Nolan

27 juillet 2017 0 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 27 juillet, 2017 @ 19:01:07

Depuis une décennie, Christopher Nolan a pris l’habitude de me faire attendre la sortie de ses films avec (presque) autant d’impatience que la sortie de mon fils du ventre maternel. Ce n’est pas pour rien que cet enfant porte aujourd’hui ce patronyme de cinq lettres en guise de prénom. Dunkirk, le dixième long métrage de ce grand cinéaste, atteint des sommets si vertigineux que son visionnement laissera tout le monde pantois, à commencer par les acrophobes.

La menace plane sans cesse au-dessus des soldats qui attendent sur le môle…

Si le nombre de réalisateurs capables de gérer une telle entreprise cinématographique se compte sur les doigts de la main d’un amputé de guerre ayant tenu une grenade dégoupillée trop longtemps, le nombre de spectateurs capables de la digérer sans problème l’est également. Bien que Nolan ait eu l’idée de Dunkirk il y a 25 ans lors d’un voyage en Europe en compagnie de sa femme (la productrice Emma Thomas), il a attendu d’acquérir suffisamment d’expérience sur des superproductions d’envergure. Chose faite grâce à Inception, Interstellar, The Prestige et la trilogie The Dark Knight, il s’attaque maintenant à un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale.

Nolan au sujet du point de départ : « Le môle (digue artificielle construite en raison du manque de profondeur de l’eau et de l’impossibilité des navires d’accoster, NDLR) est ce qui m’a tout de suite fasciné dans cette histoire. […] Un kilomètre de long qui s’avance dans la mer. 2,5 mètres de large […]. C’est une image élémentaire que je n’avais jamais vue avant et qui possède une force métaphorique, allégorique si vous voulez, qui résonne immédiatement dans l’inconscient. »

La bataille de Dunkerque, connue des historiens sous le nom de l’opération Dynamo, s’est déroulée du 21 mai au 4 juin 1940 lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle est la conséquence directe de la percée de Sedan par les troupes allemandes dix jours plus tôt, ce qui a forcé le repli des troupes franco-britanniques à Dunkerque jusqu’aux rives de la mer du Nord. Un total de 338 226 hommes ont été sauvés grâce, entre autres, au soutien aérien et aux nombreux bateaux dépêchés sur place. Une évacuation miracle. À noter que, dans les faits, neuf destroyers (six britanniques et trois français) ont été coulés au cours de cette partie de Battleship allemande.

Trois Supermarine Spitfire survolent le Moonstone qui essaie de venir en renfort.

Voici le pitch que Nolan a fait à la Warner : « Le film place les spectateurs dans les bottes d’un soldat prisonnier de la plage, dans le cockpit d’un pilote de Supermarine Spitfire durant un combat aérien contre des Messerschmitts, sur le pont d’un yacht civil en route vers l’enfer. C’est une odyssée en IMAX, de la réalité virtuelle sans les lunettes spéciales. »

Le tournage s’est déroulé du 23 mai au 2 septembre 2016 en grande partie sur les lieux mêmes de la bataille. Il y avait 1 300 figurants en uniforme sur la plage. De père anglais, de mère américaine et d’obédience hollywoodienne, Nolan privilégie le sort des Britanniques en effleurant celui des Français. Il a aussi décidé de renoncer à montrer les horreurs de la guerre (Saving Private Ryan et Hacksaw Ridge l’ont très bien fait) et de proposer ni plus ni moins un survival piloté par un suspense ressenti de l’intérieur.

Nolan au sujet du tournage des scènes navales : « Plus de 230 bateaux ont été perdus lors des évacuations quotidiennes, dont six destroyers britanniques. Il y a des moments où je me suis dit que j’avais eu les yeux plus gros que le ventre (il a demandé conseil auprès de Steven Spielberg et Ron Howard, NDLR). Je crois qu’on a eu jusqu’à 62 vaisseaux de sortie, sur l’eau, lors d’une journée. Je n’avais jamais dirigé quelque chose comme ça auparavant et je ne sais pas si quelqu’un l’a déjà fait. C’était désastreux. »

Le réalisateur Christopher Nolan sur le tournage de Dunkirk.

Au détour d’une scène épique avec Cillian Murphy située au quart du film, nous comprenons que Nolan éclate la chronologie classique. En effet, par un habile montage parallèle, Nolan réussit le tour de force d’entremêler trois niveaux d’espace (la terre, la mer et l’air) et de temps (une semaine de survie, une journée de traversée et une heure de carburant). Il faut comprendre par là que ceux qui étaient sur la terre/plage ont vécu une semaine d’attente interminable, tandis que ceux sur la mer/bateau ou dans l’air/avion ont pris respectivement une semaine et une heure à traverser les eaux pour parvenir à rescaper/défendre les militaires en danger. Impossible toutefois de raconter tout ce qui s’est passé tellement il y a matière à remplir un manuel d’Histoire. C’est la raison pour laquelle Nolan ne prétend pas à l’exhaustivité en s’attardant sur le destin (fictif) d’une poignée de personnages, voire une pincée.

Nolan peut ainsi revendiquer le titre de cinéaste du temps, mais aussi de l’espace. Que ce soit l’immensité des plages inondées de militaires, de la mer agitée ou du ciel nuageux, ou encore l’étroitesse des cockpits, des cales ou du môle, le réalisateur traduit la peur qui afflige l’infiniment grand d’une foule en pleine guerre et l’infiniment petit d’un seul individu en pleine survie.

Ce n’est pas la première fois que cette page de l’Histoire sert d’inspiration. En effet, elle a déjà fait l’objet d’une adaptation sur le grand écran en 1958, dans un long métrage de Leslie Norman avec Richard Attenborough, et sur le petit écran en 2004, dans un téléfilm de la BBC avec Benedict Cumberbatch. C’est néanmoins la première fois qu’elle est présentée avec autant de budget et d’envergure.

Harry Styles, Aneurin Barnard et Fionn Whitehead dans Dunkirk.

De par sa durée de 106 minutes, Dunkirk est le film le plus court et le plus épuré de la filmographie nolanienne, du moins depuis Following en 1998. C’est qu’il débute in medias res, dans le feu de l’action, privilégiant le silence plutôt que le dialogue et sautant d’un personnage à un autre sans ralentir la cadence. Tout le monde restent quasi anonymes. Aucun retour en arrière ne nous explique leur passé, leur travail ou leur situation familiale. Ils sont tous prisonniers de cette plage, un point c’est tout. Le but était de créer une illusion, de donner aux spectateurs autant d’informations que celles dont disposaient les soldats à l’époque, il y a plus de 75 ans.

À une époque où les films de superhéros et d’horreur en montrent trop, préférant l’exagération à la suggestion ou encore la démesure à la demi-mesure, Nolan arrive avec ce Dunkirk qui ne fait rien comme les autres. Peu de dialogues. Peu de sang. Peu de plans de l’ennemi (la suggestion triomphe enfin de l’exagération). Que reste-t-il? La peur. Avez-vous aimé la dernière demi-heure du Sicario de Denis Villeneuve? Dites-vous que Dunkirk installe le même climat anxiogène et angoissant du début à la fin.

Tom Hardy joue Farrier, un pilote de la Royal Air Force, dans Dunkirk.

Bref, Dunkirk représente plus une expérience immersive qu’un divertissement pop-corn. Il a été tourné en 70mm, comme The Hateful Eight de Quentin Tarantino, et se doit d’être visionné en IMAX. C’est ce que j’ai fait et je dois avouer que le travail sonore m’a soudé à mon siège. Idem pour la musique de Hans Zimmer qui décuple le climat de tension qui n’a de cesse d’aller crescendo. Si l’opération Dynamo a écrit un chapitre important de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, ce nouveau film vient certainement d’écrire un chapitre important de l’histoire du film de guerre, voire du septième art tout court. Il me tarde déjà de présenter le petit Nolan au grand Nolan…

Verdict : 9,5 sur 10

Anachronisme volontaire : En dépit du fait que ce type de décoration ne soit apparue qu’à partir d’août 1940, les Messerschmitt Bf 109 allemands vus dans le film arborent déjà un nez peint en jaune afin que les spectateurs puissent aisément et rapidement les identifier. Une décision du chef décorateur Nathan Crowley que j’approuve.

Le tournage a exigé la présence de milliers de figurants.