Blade of the Immortal – Critique du 100e Takashi Miike
3 août 2017 1 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 3 août, 2017 @ 18:27:58Si le cinéma est une usine à rêves qui a ouvert ses portes en 1895, Takashi Miike représente probablement sa machine la plus performante. En effet, le réalisateur japonais enfile les projets à la chaîne depuis 1991 et vient tout juste de franchir le cap de la centaine avec Blade of the Immortal. Il s’agit d’un chanbara qui s’inscrit dans la pure tradition nipponne, un monde peuplé de samouraïs, de rônins et de yojimbos, quoique la touche miikéenne en fait aussi un produit 100% postmoderne. J’ai eu la chance de visionner cet ajout surprise à la programmation de Fantasia, et ce, en première nord-américaine.
Voici le synopsis : Au 18e siècle, durant l’époque Edo, le samouraï Manji (Takuya Kimura) voit mourir sa petite sœur Machi (Hana Sugisaki) sous ses yeux. Il tue aussitôt les 100 responsables lors d’une boucherie sans pitié ni survivant. Mal en point, il devient immortel après que l’étrange Yaobikuni (Yoko Yamamoto) le soigne avec des vers de sang. 50 ans plus tard, la petite Rin (Hana Sugisaki) recherche Manji qui porte désormais le surnom du « tueur aux 100 cadavres ». Elle a besoin de son aide pour traquer ceux qui ont assassiné sa famille. Retrouvant l’image de Machi dans Rin, Manji accepte et part affronter les scélérats du clan Ittô-Ryû dirigé par l’impitoyable Kagehisa Anotsu (Sota Fukushi).
Que ce soit un film de yakuzas (Ichi the Killer, Gozu) ou un film de samouraïs (13 Assassins, Hara-Kiri: Death of a Samurai), en passant par un film de superhéros (Zebraman), Miike est un touche-à-tout dont les limites n’ont d’égales que celles de son imagination fertile. Le scénario de Tetsuya Oishi adapte ici le manga Blade of the Immortal (Mugen no Jûnin en VO et L’Habitant de l’infini en VF) né sous la plume de Hiroaki Samura. Cette histoire, conventionnelle au premier coup d’œil quoique très originale dans ses détails, se décline en 30 volumes publiés entre 1993 et 2012.
Il est possible de voir une analogie entre le « cinéaste aux 100 films » et le « tueur au 100 cadavres », en ce sens qu’ils ont fait preuve de célérité pour obtenir respect et célébrité. Là où le premier verse sa sueur en se renouvelant à chaque film, le second verse son sang en voyant son corps se renouveler. Tous deux ne ménagent pas leurs efforts pour réaliser l’irréalisable. Les scènes d’action sont parfaitement chorégraphiées, comme si les 99 productions précédentes avaient conduit à ce point culminant, faisant de Miike un raconteur hors pair en pleine maîtrise de son art. D’ailleurs, à son humour scabreux et à la campagne de lisibilité de son montage, je tiens à sabrer mon meilleur champagne!
J’ai éprouvé un plaisir quasi vidéoludique à voir Manji affronter un à un les sbires du big boss final et tenter de remonter jusqu’à lui. Cette surenchère numéraire se déploie dès l’incipit, alors qu’une scène pré-générique entre rapidement dans le vif du sujet par le tranchant de l’épée : nous assistons au fameux bain de sang de 100 personnes filmé en noir et blanc. Il y a ensuite une belle transition vers la couleur. Durant les nombreux duels face à des ennemis plus colorés les uns que les autres, Manji a recours à un éventail d’armes blanches, à la manière d’un jeu de tir où le joueur peut utiliser un éventail d’armes à feu. À noter que la scène finale où Manji et Rin affrontent 300 adversaires a exigé pas moins de 15 jours de tournage pour un résultat qui a de quoi étancher n’importe quelle soif de démesure!
Les hommages de Takashi Miike à Akira Kurosawa fusent de toutes parts. Je vous déconseille toutefois de comparer l’œuvre des deux hommes tant ils ne possèdent pas le même talent et ne bénéficient pas des mêmes conditions de travail. Kurosawa a laissé derrière lui des chefs-d’œuvre du genre tels que Seven Samurai, Rashomon, Yojimbo, Sanjuro et The Hidden Fortress. Pour l’anecdote, depuis quelques année, Miike a récupéré un acteur de Kurosawa en la personne de Tsutomu Yamazaki (High and Low, Red Beard, Kagemusha), 80 ans, qui joue ici Kensui Ibane.
Takashi Miike au sujet du matériel mis à la disposition de son directeur photo Kita Nobuyasu : « J’ai pensé que pour que pour un film d’époque, je pouvais tourner en 35 mm plutôt qu’en numérique, utiliser des techniques traditionnelles, des lentilles anamorphiques comme à l’époque. C’est un voyage dans le temps en terme cinématographique. C’était ce que je voulais faire, mais ça s’est avéré impossible. J’ai donc utilisé une caméra Lexus. »
Si, tout comme moi, vous êtes un fan de Wolverine dans la saga X-Men (voir ma critique de Logan), le personnage de Manji vous conviendra parfaitement. Qu’il soit éventré, énucléé, dépecé ou découpé, le surhomme renaît de ses cendres tel un phénix. Takuya Kimura, acteur japonais de 44 ans et membre du boy band SMAP, livre une performance digne de Toshiro Mifune (acteur fétiche de Kurosawa avec 16 collaborations!), c’est-à-dire un jeu de nuances alternant moments de calme et moments de rage. Son corps sacrifié, scarifié et ostracisé mériterait d’être oscarifié, bien que cela soit impossible dans le contexte d’un film oriental qui peine à toucher terre pour une distribution en Amérique.
Après Terraformars, JoJo’s Bizarre Adventure: Diamond Is Unbreakable – Chapter 1 et The Mole Song: Hong Kong Capriccio, ce 100e film signé Takashi Miike est le quatrième que je vois de lui en deux années consécutives de couverture de Fantasia. Cela représente 17% des 24 critiques (à un visionnement près d’être 1/5!) que j’ai écrites pour TVQC. Je comprends de mieux en mieux pourquoi le chouchou de la programmation, devenu aussi le mien à force de le découvrir, fait fi de l’étiquetage et de la prévisibilité. Je vous recommande de lire les trois autres si vous êtes encore « rétis-san » à adhérer au club de Miike-san!
Bref, Blade of the Immortal est un habile mélange entre un film de samouraïs de Kurosawa et un film de superhéros mettant en vedette Wolverine. Sa durée de 140 minutes passe rapidement, à la vitesse d’une flèche, avec une séquence d’ouverture épique pour arc et une séquence finale d’envergure pour cible. La trajectoire de cette flèche est celle d’un crescendo de violence graphique au cours duquel chaque scène vise mieux et plus fort que la précédente. Le moins que je puisse dire de ce sacré Miike, c’est qu’il ne manque pas de couilles en raison d’un résultat aussi sans glands… euh… sanglant!
Verdict : 9 sur 10
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d’événement, publicités, vidéoclips). Il s’occupe d’ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d’une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l’UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l’UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca
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À propos de l’auteur
Véritable cinéphile, Louis-Philippe Coutu-Nadeau est un scénariste-réalisateur-monteur qui a une cinquantaine de contrats à son actif en tant que vidéaste (mariages, captations d'événement, publicités, vidéoclips). Il s'occupe d'ailleurs de toutes les vidéos du concessionnaire Alix Toyota depuis juin 2013. Il a aussi été pigiste pour trois boîtes de production, soit le Studio Sonogram, VLTV Productions et Ikebana Productions. Sa filmographie personnelle présente pas moins d'une vingtaine de titres dont le film Khaos et la websérie Rendez-vous. Il possède un baccalauréat en études cinématographiques à l'UdeM et un baccalauréat par cumul de certificats à l'UQÀM (en scénarisation cinématographique, en création littéraire et en français écrit). Vous pouvez visionner son expérience contractuelle et son expérience personnelle sur son site officiel : www.lpcn.ca