
Blade Runner 2049 – Critique du film de Denis Villeneuve
6 octobre 2017 6 octobre, 2017 @ 22:16:33Harrison Ford n’est pas que le Han Solo de George Lucas ou le Indiana Jones de Steven Spielberg; il est aussi le Rick Deckard de Ridley Scott. 35 ans après la sortie de Blade Runner, classique de la SF, l’acteur prête de nouveau ses traits à son personnage emblématique dans Blade Runner 2049. Si Scott revient en tant que producteur, la réalisation, quant à elle, a été confiée au Québécois Denis Villeneuve qui signe ici un chef-d’œuvre allant au-delà des attentes et ne dénaturant en rien le film original. Cela n’est pas peu dire!
En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bio-ingénierie. L’officier K du LAPD (Ryan Gosling) est un Blade Runner : il fait partie d’une unité de forces spéciales chargée de retrouver et de retirer les réplicants, ou androïdes, qui refusent d’obéir aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enterré depuis des lustres et susceptible de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard (Harrison Ford), un ancien Blade Runner, qui a disparu depuis trente ans…
Tel est le résumé de Blade Runner 2049. Il s’agit du neuvième long métrage de Denis Villeneuve en deux décennies, le plus récent titre d’une filmographie composée de quatre films québécois tournés en treize ans et de cinq films états-uniens tournés en cinq ans. Ce déménagement chez nos voisins du Sud semble avoir été un choix profitable pour ce réalisateur de Bécancour, d’autant plus qu’il vient tout juste de souffler ses 50 bougies le 3 octobre dernier, le soir même de la grande première de son dernier-né au Dolby Theatre d’Hollywood!
1998 : Un 32 août sur terre
2000 : Maelström
2009 : Polytechnique
2010 : Incendies
2013 : Prisoners
2013 : Enemy
2015 : Sicario
2016 : Arrival
2017 : Blade Runner 2049
Avec un budget confortable de 185 millions de dollars, Villeneuve a pu filmer ce qu’il n’avait jusqu’ici que fantasmé, quoique de pareils moyens mis à la disposition d’une pareille entreprise cinématographique représentent un risque vertigineux, tant pour ceux qui ouvrent leur portefeuille que pour ceux qui s’y servent. Scott n’avait eu besoin que de 28 millions de dollars en 1982, certes, mais il faut souligner que les recettes n’avaient pas dépassé 32,87 millions de dollars. Son statut de culte s’est vu attribué plus tard grâce aux ventes sur le marché de la vidéo.
Pour comprendre l’engouement autour de ce projet casse-cou qu’est Blade Runner 2049 et sa raison d’être à une époque où Hollywood dépoussière ses succès d’antan en les resservant à toutes les sauces (sequels, prequels, remakes, spin-offs, crossovers), faute d’idées novatrices qui s’inscrivent sur The Black List, il faut d’abord connaître quelques informations au sujet du Blade Runner de 1982. Il y a eu pas moins de huit versions différentes au fil des ans (distributions ciné, diffusions télé, sorties vidéo), dont voici les quatre principales :
• La U.S. Theatrical Release, ou Domestic Cut, en 1982 (1h57m16s) : Version amendée par les producteurs, laquelle contient un happy end qui recycle des rushes du film d’épouvante The Shining (1980). C’est celle-là qui a été commercialisée en Betamax et en VHS dès 1983.
• La International Theatrical Release en 1982 (1h57m25s) : Version légèrement plus violente que la précédente, du moins lors de trois scènes spécifiques.
• La Director’s Cut en 1992 (1h56m34s) : Version/vision officielle de Scott, dans laquelle il a supprimé la narration de Ford/Deckard et a remplacé le happy end inutile par une scène suggérant que le protagoniste est un réplicant. C’est celle-là qui a été commercialisée en VHS dès 1993 et en DVD dès 1997.
• La Final Cut, ou 25th-Anniversary Edition, en 2007 (1h57m36s) : Version restaurée au niveau de l’image et du son. Ce coffret de collection inclut cinq des sept versions antérieures.
Le débat à savoir si Deckard est ou n’est pas un réplicant continue de faire couler de l’encre et gaspiller de la salive, incapable de rallier ne serait-ce que ses propres intervenants, à commencer par Scott qui est pour et Ford qui est contre. Quoiqu’il en soit, Blade Runner a surtout marqué l’histoire du cinéma pour son habile mélange de film noir et de science-fiction qui explore les tréfonds de la condition humaine. Là où 2001: A Space Odyssey s’ouvrait et se fermait sur la philosophie de Nietzsche avec le recours au crescendo Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, Blade Runner proposait et propose encore un sous-texte sur la philosophie de Descartes en raison notamment du double-sens caché au sein du patronyme Deckard…
Est-ce qu’il y aura une ou des versions ultérieures au film de Villeneuve qui sort en salles aujourd’hui? Qui de mieux placé que le principal intéressé pour répondre : « Je n’ai pas eu à négocier avec des studios qui m’ont castré ou qui m’ont obligé à faire des choses. […] Peut-être qu’il y aura une version du studio ou peut-être une version du producteur, mais il n’y aura pas d’autres versions du réalisateur. C’est MON ‘director’s cut’. […] Le film qui est là, c’est la version intégrale de ce que j’ai voulu faire. Si vous n’aimez pas ça, eh bien… il n’y en aura pas d’autre! »
Le directeur de la photographie Roger Deakins (Unbroken, The Shawshank Redemption, A Beautiful Mind) se doit de repartir de la 90e cérémonie des Oscars, le 4 mars 2018, avec une statuette sous le bras. De par son éclairage tantôt en couleurs froides, tantôt en couleurs chaudes, ce fidèle collaborateur des frères Coen, passé maître dans l’art de permettre aux images de s’exprimer, tend ici un micro à l’arrière-plan pour qu’il traduise nombre d’émotions à l’instar des visages, des dialogues et de la musique. Si, tout comme moi, vous étiez bouche bée durant le dernier tiers de Sicario, vous serez sidéré devant l’esthétique de Blade Runner 2049!
Le tournage s’est déroulé sur une période de cinq mois, c’est-à-dire entre le 6 juillet 2016 et le 20 novembre 2016, dans les studios Korda de Budapest en Hongrie. Villeneuve au sujet de la faible utilisation d’écrans verts : « À mon grand bonheur, les producteurs ont accepté qu’on tourne dans de vrais décors en studio. C’est plus rare qu’on voit cela aujourd’hui parce que la plupart des gros films du genre sont tournés sur fond vert. C’était donc un luxe qu’on se permettait. Et ça donné lieu à des scènes surréalistes où, quand on allumait les lumières pour tourner, on se retrouvait d’un seul coup plongé dans l’univers de Blade Runner. Tous les acteurs ont eu le même sentiment en voyant cela. Même Harrison Ford a eu la gueule à terre quand il s’est retrouvé sur le plateau pour la première fois. »
Étant donné que Hans Zimmer (Dunkirk, Interstellar, Inception) a composé la musique de Scott à six reprises, entre autres pour Gladiator, Villeneuve a ainsi pu s’offrir sans problème ses services. Dommage toutefois que le travail du célèbre compositeur supporte mal toute comparaison avec les synthétiseurs stratosphériques de Vangelis (Chariots of Fire, 1492: Conquest of Paradise) qui avait mis la barre si haute il y a 35 ans. Fort heureusement, en ce qui a trait à la préproduction qui s’est échelonnée sur 18 semaines, Michael Green a signé une histoire géniale basée sur une idée de départ que Hampton Fancher, le scénariste du premier film, a développé au préalable avec Scott sous la forme d’une nouvelle de 110 pages.
Survolons maintenant l’avant-plan, autrement dit la distribution.
Celui qui était sur le poster de la chambre de Villeneuve à l’époque se retrouve maintenant sur le poster de son propre film. En effet, du haut de ses 75 ans, Harrison Ford fait des heureux et ravive leur flamme nostalgique en acceptant de reprendre ses plus grands succès dans des suites telles que Indiana Jones and the Kingdom of the Crystal Skull et Star Wars: The Force Awakens. Il s’en sort même très bien en dépit du fait qu’il a une fonction de mentor et non de personnage principal.
À la manière de Tom Hardy qui succédait à Mel Gibson dans Mad Max: Fury Road, Ryan Gosling joue un nouveau Blade Runner surnommé K, initiale on ne peut plus kafkaïenne. Il possède à la fois le charisme et le physique de l’emploi pour ce rôle écrit expressément à son intention, ce qui prouve qu’il peut jouer n’importe quoi. C’est d’ailleurs le premier gros blockbuster auquel il participe et je ne peux qu’applaudir cette sage décision.
Jared Leto livre une énième performance digne de mention qui lui permet d’incarner intensément un personnage secondaire intéressant. En effet, après Rayon dans Dallas Buyers Club (du Québécois Jean-Marc Vallée qui a recommandé l’acteur à Villeneuve) et le Joker dans Suicide Squad, il se distingue dans le rôle de Niander Wallace, le créateur aveugle des Nexus 9. Bien qu’il ait bouclé ses scènes en deux semaines, il s’est imposé le port de lentilles spéciales qui le privaient vraiment du sens de la vue. À noter que, avant sa mort le 10 janvier 2016, David Bowie devait à l’origine camper ce personnage trop peu présent.
Villeneuve prend une pause méritée et devrait ensuite s’attaquer au remake de Dune (1984), que David Lynch a jadis repris des mains moites de Scott, à condition que le scénario en cours d’écriture soit bon et respecte davantage le best-seller de Frank Herbert. Il est également en pourparlers pour réaliser un projet sur une certaine Cléopâtre, d’après la biographie Cleopatra: A Life écrite par Stacy Schiff, et un autre sur un certain James Bond, à la demande de Daniel Craig lui-même. À quand les commandes d’un spin-off de la saga Star Wars?
Bref, Blade Runner 2049 est une claque d’originalité plutôt qu’un calque du film original. Que ce soit une réplique cryptée de sens, un regard scruté à la loupe par la caméra ou un décor sculpté dans les moindres détails, chaque élément invite à l’admiration durant 163 minutes. Les superlatifs me manquent pour qualifier la qualité exceptionnelle du rendu visuel, prouvant au passage la force de la signature villeneuvienne. Une mégapole tentaculaire aux grands gratte-ciel, un éclairage provenant uniquement de la lumière artificielle des néons publicitaires, une pluie acide incessante : quel plaisir que celui de revisiter le Los Angeles dystopique de Blade Runner! À voir!
Verdict : 9,5 sur 10
Voici trois antépisodes, présentés sous forme de courts métrages, qui dressent un pont entre l’année 2019 du film original et l’année 2049 de sa suite :