Là où les putains n’existent pas: la face sombre du modèle social suédois sur ARTE

15 janvier 2018 0 Par Jean Francois Cloutier 15 janvier, 2018 @ 3:26:56

La tragédie d’Eva-Marree, alias Jasmine Petite, 27 ans, privée de ses enfants puis tuée par leur père. Dans un réquisitoire convaincant, la réalisatrice Ovidie dénonce les abus de pouvoir commis par un État suédois prétendument protecteur.

Là où les putains n’existent pas

Là où les putains n’existent pas
La tragédie d’Eva-Marree, privée de ses enfants puis tuée par leur père. Dans une démonstration implacable, la réalisatrice Ovidie dénonce les abus de pouvoir commis par un État suédois prétendument protecteur.

Eva-Marree, alias Jasmine Petite

Eva-Marree, alias Jasmine Petite

Le 11 juillet 2013, Eva-Marree, alias Jasmine Petite, 27 ans, est tuée par le père de ses deux enfants de trente-deux coups de couteau, dans les bureaux des services sociaux suédois. Ce crime est l’aboutissement d’un cauchemar qui a commencé trois ans plus tôt, après que la jeune femme, ayant quitté son compagnon pour violences conjugales répétées, et ne sachant comment subvenir aux besoins de la famille, a confié à une proche avoir travaillé comme escort-girl. Sur simple dénonciation, Eva-Marree se voit retirer sa fille et son fils, alors âgés de 1 et 2 ans, sans discussion ni enquête préalables, les services sociaux en attribuant la garde exclusive à leur père, un homme dont ils avaient pourtant eux-mêmes diagnostiqué la violence.

Après l’échec de plusieurs recours en justice, la jeune femme devient l’un des porte-parole du syndicat suédois des travailleurs du sexe, dénonçant les lois en vigueur et les abus de pouvoir des services sociaux, qui privent les prostitué(e)s de leurs droits élémentaires en prétendant les protéger. Ayant finalement obtenu un droit de visite auprès de ses enfants, puis encore bataillé pour que les services sociaux obligent le père à s’y soumettre, elle est assassinée lors du premier rendez-vous fixé avec ce dernier et leur fils.

Aucune sanction n’est prise au sein du service concerné, même si la directrice en est discrètement mutée. Les parents d’Eva-Marree réclament toujours en vain le droit de voir leurs petits-enfants, dont ils ignorent jusqu’au lieu de placement, alors que le père meurtrier, bien que condamné à une longue peine d’incarcération, conserve son autorité parentale. Car, en Suède, dénoncent les interlocuteurs d’Ovidie (la mère d’Eva-Marree, Zenitha, son avocat, la responsable de son syndicat…), une “putain” ne saurait être une bonne mère.

Là où les putains n’existent pas

Si, comme cette jeune femme courageuse, qui témoigne dans un entretien d’archives avec une retenue et un charisme remarquables, elle ose refuser le statut de victime et d’irresponsable qu’on lui assigne, elle devient aussi une ennemie de la société. C’est l’histoire d’une femme marquée, parce qu’elle s’est prostituée 5 fois, marquée au fer rouge, offerte à la vindicte publique, privée de ses enfants. Parce que tout valait mieux qu’une « putain », même un géniteur dangereusement déséquilibré. Tout ceci pour qu’une société puritaine et répressive puisse dormir sur ses deux oreilles. En un réquisitoire convaincant contre un État “providence” dont aucun représentant n’a souhaité s’exprimer, la réalisatrice expose en détail l’hallucinante violence qui a frappé Eva-Marree et ses enfants.

Pour Ovidie, cette histoire est le symbole de l’échec du modèle social suédois.

“La Suède est une société missionnaire qui, comme le faisait l’URSS, est prête à tout pour exporter son modèle idéologique, quitte à maquiller une réalité sociale sombre. Ses lois sur la prostitution partent d’un bon sentiment : protéger les femmes des violences qui leur sont faites. Mais elles deviennent l’instrument d’un contrôle moral : on enlève leurs enfants aux travailleuses du sexe en prétextant qu’on ne peut être mère et prostituée. L’État suédois a sa part de responsabilité dans l’assassinat d’Eva-Marree : c’est lui qui, en menant sa chasse aux sorcières contre les prostituées, a donné l’autorisation implicite de tuer à celui qui tenait le couteau. On peut parler de terreur. Beaucoup de femmes, même celles qui n’ont rien à voir avec le travail du sexe, ont refusé de témoigner pour ce film car elles avaient peur de voir la police débarquer et prendre leurs enfants”.

Là où les putains n’existent pas sur ARTE France
Première diffusion : 6 février 2018
Dates de diffusion : 6 février 2018 – 23.50 / 18 février 2018 – 2.10 / 6 mars 2018 – 1.30