La Dernière demeure des Hill – Analyse de la série Netflix de Mike Flanagan

12 novembre 2018 1 Par Louis-Philippe Coutu-Nadeau 12 novembre, 2018 @ 15:30:22 PM

À peine un mois après son ajout dans le catalogue Netflix le 12 octobre 2018, la série d’épouvante The Haunting of Hill House (La Dernière demeure des Hill en VF) acquiert déjà le statut de culte et n’a de cesse de rallier des fans à sa cause grâce à un bouche à oreille extrêmement favorable. Moi qui résistais encore et toujours à l’envahisseur que représentent les séries américaines au détriment des blockbusters (ma dernière expérience avec un contenu sériel remontait à Lost, Prison Break et One Tree Hill il y a une décennie!), voire la VOD au détriment des salles de cinéma, me voilà en train d’en analyser une pour les besoins d’un article destiné à TVQC.

La Dernière demeure des Hill

La fameuse Hill House.

La Dernière demeure des Hill

À l’été 1992, Hugh et Olivia Crain s’installent temporairement dans un ancien manoir, Hill House, avec leurs cinq enfants : Steven, Shirley, Theo, Luke et Nell. Ils veulent la rénover afin de toucher une plus-value immobilière à la revente. La famille, rapidement sujette à des activités paranormales et une perte tragique qui les divise, est forcée de quitter ce toit maudit. En octobre 2018, soit 26 ans plus tard, les Crain se retrouvent après une nouvelle tragédie, les obligeant à affronter les démons de leur enfance.

Ce qui frappe d’emblée à la suite du visionnement de la série, c’est à quel point son créateur Mike Flanagan (Before I Wake, Ouija: Origin of Evil) a magistralement soigné le temps et l’espace à seule fin que les dix épisodes, d’une durée moyenne de 57 minutes, atteignent un niveau qualitatif digne d’un long métrage à gros budget. Né à Salem (!), le réalisateur américain de 40 ans possède déjà une feuille de route impressionnante dans le registre horrifique avec cinq films entre 2013 et 2017. Il était, de ce fait, tout désigné pour tenir les rênes de cette série-évènement chapeautée par Netflix.

Parlons du temps. Le montage fait s’alterner deux temporalités distinctes – tantôt le passé de 1992, tantôt le présent de 2018 – grâce à des raccords transitoires réfléchis, établissant ainsi un lien de cause à effet implicite aux yeux des personnages quoique explicite pour nous. Rien n’arrive pour rien et tout est révélé au compte-gouttes avec une clarté déconcertante. Cette structure fragmentée progresse lentement du particulier au général, ce qui permet au passage d’approfondir les versions jeune et âgée des personnages. Leur sort nous importe à mesure que la grande finale approche.

Quant à la spatialité, elle n’est pas en reste. Les extérieurs de Hill House sont ceux du manoir Bisham situé à LaGrange dans l’État de Géorgie. La production l’a laissé à l’abandon pendant six ou sept mois avant de revenir immortaliser la détérioration de la façade. Les intérieurs ont été reconstitués quasiment à l’identique dans un studio à Atlanta, aussi dans l’État de Géorgie, pour contrôler à 100% tant l’éclairage lors des scènes de nuit que la permutation des murs lors de mouvements de caméra. Superbe travail du directeur de la photographie Michael Fimognari soit dit en passant.

Recevoir ainsi l’aval de Stephen King via les réseaux sociaux, c’est en quelque sorte comme recevoir la visite de George Lucas sur le plateau d’un spin-off de Star Wars (Ron Howard ou Gareth Edwards peuvent en témoigner). C’est d’autant plus vrai lorsque votre film précédant adaptait Gerald’s Game et que votre film suivant adaptera Doctor Sleep, deux romans de King publiés respectivement en 1992 et 2013. Doctor Sleep se veut d’ailleurs la suite du roman The Shining paru en 1977 et porté à l’écran par Stanley Kubrick en 1980. Fait intéressant : il y a plusieurs références à The Shining dans la série, ne serait-ce que par la proposition d’une chambre rouge (redrum/red room), la notion de double (le duo gémellaire Nell/Luke), la notion de labyrinthe (les plans d’architecte de Hill House) ou une scène de bar énigmatique en compagnie d’un personnage joué par James Lafferty (hé oui, le Nathan Scott d’One Tree Hill!).

Un autre classique des années 80 est déterré d’entre les morts et celui-là a fait vibrer une corde nostalgique résonnant directement avec mon enfance. En offrant le rôle du père de famille à Henry Thomas, âgé de 47 ans, il m’a permis de revoir le petit Elliott d’E.T. the Extra-Terrestrial, et ce, 36 ans après sa sortie en 1982. Dès l’épisode 1, au cours d’un plan avec le jeune Luke (campé par Julian Hilliard), une boîte à lunch à l’effigie du film culte de Steven Spielberg a été ajoutée au décor de sa cabane dans un arbre en guise d’accessoire. Autre fait intéressant : chaque épisode de la série coproduite par Amblin Television se termine par le logo de la compagnie (dont le cofondateur est Spielberg lui-même!) montrant le célèbre plan du vélo devant la lune…

J’ai particulièrement adoré la seconde moitié de l’épisode 5, l’ensemble de l’épisode 6 ainsi que le twist final (un peu trop optimiste par contre) de l’épisode 10. Tous les membres de la distribution, novices comme vétérans, défendent parfaitement leur rôle. L’utilisation impeccable du hors-champ, le recours au champ-contrechamp, l’habillage sonore, les raccords de regard : chaque élément de la série est contrôlé de main de maître par Flanagan le marionnettiste à seules fins de nous surprendre maintes fois et de nous flanquer de sacrées frousses!

La Dernière demeure des Hill

Un endroit qui noue l’estomac : derrière la mystérieuse porte rouge se cache un hommage au Shining de Stephen King.

À force de prendre des libertés, la série Netflix n’a plus grand-chose à voir avec le texte original, le roman The Haunting of Hill House écrit par Shirley Jackson en 1959, si ce n’est que le nom du lieu ainsi que le nom des personnages Nell, Theo et Luke, lesquels ne sont pas frères et sœurs et n’ont pas fréquenté le manoir auparavant. Quant à Steven et Shirley (clin d’œil à la femme de lettres), ils ont été inventés par Flanagan afin de rendre son histoire plus complète et plus complexe.

L’acteur Michiel Huisman, qui joue le Steven de 2018, au sujet de l’adaptation : « Ce n’est pas une adaptation directe. C’est plutôt un hommage. À la maison hantée. Aux personnages qu’elle a inventé. Mais c’est vrai que globalement, on a fait une toute nouvelle interprétation du livre. »

Deux films avaient déjà adapté le roman de Jackson : The Haunting de Robert Wise en 1963 (La Maison du diable en VF) et The Haunting de Jan de Bont en 1999 (Hantise en VF). La première, devenue un classique de l’épouvante, se distingue par sa superbe photographie en noir et blanc, tandis que la seconde se résume à revêtir les atours d’un navet éprouvant sans aucun intérêt. À noter que l’acteur Russ Tamblyn est le seul nom qui apparaît à la fois dans les génériques de 1963 et de 2018, un écart de 55 ans, jadis dans le rôle de Luke et maintenant derrière les traits du docteur Montague.

L’engouement des internautes autour de la série s’explique, entre autres, par le jeu fantastique de dénicher les nombreux easter eggs fantomatiques dissimulés un peu partout en arrière-plan lors des scènes à l’intérieur de Hill House. Que ce soit une silhouette, un visage ou un bras : ces apparitions ectoplasmiques ont été insérées subtilement, voire subliminalement, de manière à lancer une sorte d’Où est Charlie? macabre. Cela me rappelle le Fight Club de David Fincher dans lequel le réalisateur avait volontairement placé un verre de café Starbucks dans chaque scène. Voici une vidéo partagée par la page twitter d’Internet Movie Database qui a recensé pas moins de 43 fantômes au cours des dix épisodes :

https://twitter.com/IMDb/status/1057633620070871040

L’épisode 6 est ni plus ni moins une prouesse technique. Génériques inclus, sa durée de 56 minutes se compose de cinq plans-séquences (14 minutes, 7 minutes, 18 minutes, 6 minutes et 8 minutes) mis bout à bout en postproduction. Cette idée faisait partie du pitch de Flanagan quand il a vendu son projet à Netflix. Le studio d’Atlanta reliait par un couloir le décor des intérieurs de Hill House et ceux du salon funéraire. La caméra pouvait donc se promener entre 1992 et 2018 dans un seul plan continu. J’ai particulièrement aimé le plan-séquence #1 lorsque la caméra exécute à deux reprises un 360 degrés autour de Hugh Crain qui débarque dans la maison mortuaire.

Imaginez l’ampleur du défi et ses impératifs : bien éclairer sans apercevoir l’ombre de la caméra, varier les mises au point entre personnages et objets, faire entrer et sortir les gens du cadre au passage de la caméra, réciter 18 pages de dialogues sans se tromper, obtenir l’émotion juste. Un véritable exploit, surtout en sachant que pour le plan-séquence #3 le chariot du Dolly s’enfonçait dans la moquette au bout de troisième et dernier essai!

Les répétitions ont commencé le 6 mars 2018 pour une période d’un mois. Le tournage s’est fait sur deux matins, les 6 et 7 avril 2018. Anecdote : Kate Siegel, qui joue la Theo de 2018 et qui est la femme de Flanagan dans la vie, a appris à son mari qu’elle était enceinte de leur deuxième enfant la veille du tournage du plan-séquence #3 au cours duquel l’actrice de 36 ans effectue une chute par terre. De quoi ajouter une couche de stress supplémentaire!

Au-delà de la prouesse des 5 plans-séquences de l’épisode 6 et du jeu des 43 fantômes cachés, il y a une belle métaphore. En effet, dans les pages de son livre Les Derniers instants de la vie publié en 1969, la psychologue suisse Elisabeth Kübler-Ross a élaboré une théorie selon laquelle le deuil se décline en cinq phases : le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation. Steven, Shirley, Theo, Luke et Nell symbolisent précisément chacun de ces stades émotionnels identifiés par le modèle Kübler-Ross.

Steven : le déni
L’aîné de la fratrie refuse tout simplement de croire ce qui s’est réellement passé à Hill House à l’époque. Il préfère s’enrichir en relatant ses expériences soi-disant paranormales dans des romans charlatanesques.

Shirley : la colère
La directrice d’une entreprise de pompes funèbres, thanatopractrice de profession, en veut beaucoup à Steven d’avoir écrit n’importe quoi au sujet de Hill House et à Nell de s’être suicidée.

Theo : le marchandage
Theo, pédopsychiatre douée de magnétisme, se sent coupable du passé en raison de son don. Elle cherche toujours à mettre des mots sur ses sensations et ses sentiments.

Luke : la dépression
Le jumeau est devenu un toxicomane dans le but de panser ses traumatismes de Hill House. Encore fragile, il essaie tant bien que mal de soigner ses addictions aux drogues fortes dans une cure de désintoxication.

Nell : l’acceptation
La cadette de la fratrie et jumelle est la seule qui finit en quelque sorte par accepter son passé, et ce, après avoir sombré dans une insondable dépression le jour où elle a vécu un drame au sein de son couple.

Bref, s’asseoir devant The Haunting of Hill House exige de monter à bord d’un ascenseur émotionnel. Si le résultat est moins une histoire d’épouvante qu’un drame psychologique, il en ressort surtout une ode à la famille contemporaine traitée par le truchement du deuil et des traumatismes. En d’autres mots, si c’est un crime de savourer chaque seconde des 572 minutes (9h32) que dure cette série, alors je plaide « plaisir » coupable. Certains réclament une suite. À quoi bon en rajouter si cette première saison se suffit à elle-même?

La Dernière demeure des Hill sur Netflix https://www.netflix.com/title/80189221

Verdict : 9,5 sur 10